La base de loisirs de Cergy vue par le regard incisif et parfois amusé de l’auteur d’Un monde sans femmes. Comme une fable politique sur la France d’aujourd’hui.
Après la station balnéaire picarde hors saison (Un monde sans femmes), après la bourgade bourguignonne sous la neige (Tonnerre), c’est à nouveau d’un lieu et d’une saison, la base de loisirs de Cergy en été, que Guillaume Brac est parti pour concevoir son éblouissant nouveau film, son meilleur peut-être : L’Ile au trésor.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Inaugurée en 1977 (qui est aussi, d’ailleurs, l’année de naissance du cinéaste), la base nautique a déjà été filmée, en 1987, par Eric Rohmer dans L’Amie de mon amie. Et sans surprise, on retrouve ici son influence qui, couplée à celle de Renoir et Rozier, insuffle à chaque plan l’esprit du flamboyant triangle de l’épicurisme moral à la française.
Un film de plage qui se double d’une fable politique
Dans un geste documentaire où affleure toutefois la fiction, Brac excelle à filmer ses personnages, une douzaine, qui ensemble dessinent un portrait juste de la France contemporaine. On passe ainsi, avec une grande élégance et moult échos poétiques, des gamins fraudeurs aux dragueurs de plage, dudit “Adonis au pédalo” au vieux prof anar, de la famille de réfugiés afghans au vigile guinéen brimé dans son pays d’origine, et on se laisse peu à peu émouvoir à l’idée qu’un tel lieu puisse concentrer autant d’histoires, constituer une petite bulle métonymique d’un pays en constante crise d’identité, qui s’oublie ici un peu, le temps d’un été.
Qui s’oublie, mais pas complètement : à la manière d’un Wiseman, Brac revient régulièrement, et malicieusement, au point de vue de l’institution, à ce directeur et son bras droit qui cherchent à réguler l’espace, à y poser caméras et clôtures, à lui imposer une loi inique (et mercantile) au nom de la sacro-sainte sécurité… Le film de plage, hédoniste et drôle, se double ainsi d’une puissante fable politique, conclue par une ultime scène, la plus belle, où le gravissement d’une colline par deux enfants, qui viennent alors de constater benoîtement que “tout était interdit”, concentre toutes les émotions contradictoires.
L’Ile au trésor de Guillaume Brac (Fr., 2018, 1 h 37)
{"type":"Banniere-Basse"}