Ancré dans un foyer de jeunes femmes, Lila Lili n’a rien d’un pensum sociologique. Marie Vermillard y construit de beaux moments de cinéma avec trois fois rien.Micheline, l’héroïne du film, assiste à un match de handball féminin. Près d’elle, une amie dit que Micheline fait partie d’une des deux équipes et qu’elle est la meilleure […]
Ancré dans un foyer de jeunes femmes, Lila Lili n’a rien d’un pensum sociologique. Marie Vermillard y construit de beaux moments de cinéma avec trois fois rien.Micheline, l’héroïne du film, assiste à un match de handball féminin. Près d’elle, une amie dit que Micheline fait partie d’une des deux équipes et qu’elle est la meilleure de toutes. Pourquoi donc ne joue-t-elle pas ? A-t-elle été frappée d’ostracisme ? Pas du tout. Lila Lili avance ainsi par petites énigmes. On apprend bientôt que Micheline est enceinte. Mais cette grossesse apparaît elle-même comme un autre petit mystère. Non seulement le père est absent, mais le caractère froid et distant de l’héroïne vis-à-vis des hommes, comme son absence d’amertume, fait douter des circonstances de la conception d’un enfant qu’elle décide de garder comme on prend une résolution d’ordre intellectuel, dénué d’affect visible à l’écran. Sa grossesse alors paraît presque résulter d’une sorte de contagion. Au foyer dans lequel elle vit, de nombreuses femmes sont dans le même état qu’elle, mais plus prosaïquement, chacune assumant sans complexe son « animalité ». De plus, la présence même de Micheline dans ce foyer est une autre curiosité, car elle gagne sa vie comme « voix » dans le métro.
Cette activité professionnelle comme l’énigme de sa grossesse pourraient à première vue inciter à une interprétation religieuse du personnage, mais Marie Vermillard ne prend jamais un parti clair. Il s’agit plus vraisemblablement d’apporter une certaine forme d’abstraction dans un monde d’une réalité trop pesante, matérielle, afin d’échapper au constat sociologique qui menaçait un tel projet cinématographique. Micheline est moins le sujet du film qu’un guide, transparent, dans le sens qu’il ne fait pas écran entre le spectateur et les autres personnages, tout en ayant sur ces derniers une influence apaisante. Elle déteint de telle manière qu’on peut dire qu’elle est une seconde directrice de la photographie du film. Elle court-circuite les conflits plus qu’elle n’en crée, possédant par exemple un art de décourager les hommes qui s’approchent d’elle sans qu’ils aient motif de se fâcher. Sa grossesse est le gage qu’il ne se passera rien de marquant scénaristiquement dans le film puisque son terme, l’accouchement, doit être l’unique « conflit » et la conclusion douloureuse, au sens physique, de l’histoire. Son enfant à venir est le seul individu sur lequel Micheline n’ait pas cette douce autorité et le seul qui la fasse souffrir sans qu’elle y puisse quoi que ce soit. Si l’on a pu douter qu’elle fût une simulatrice, c’est que sa grossesse est pour Marie Vermillard un artifice cinématographique justifiant que son film échappe à toute dramaturgie classique, à la tyrannie du conflit scénaristique, comme une trêve dans cette lutte harassante qu’est la vie. Lila Lili témoigne de cette ambition de « révéler » la réalité à travers une suite de moments qui semblent pris au hasard, sans liens de cause à effet, avec cette intention que le film se fasse également à l’écriture du scénario, au tournage et au montage, sans rupture visible. De fait, Lila Lili ressemble un peu à un film de Pialat émasculé. A travers cette habileté à éviter les conflits, le film trahit un réel dégoût de la violence et de la cruauté dont on avait peut-être à tort coutume de penser qu’elles étaient inhérentes à cette révélation ontologique de la réalité. Ne possédant pas cette force d’agression qui rend sensible la présence physique des acteurs, Lila Lili ne met à aucune sérieuse épreuve les nerfs du spectateur, qui reste toujours dans la position confortable d’un témoin certes jamais ennuyé, mais désengagé.
Aussi fluide qu’un petit fleuve, c’est assez logiquement la séquence du film où les protagonistes sont réunis auprès d’une rivière qui constitue son moment le plus gracieux. Ménageant avec un art subtil un petit suspens ultraréaliste (les enfants qui s’approchent trop près de l’eau vont-ils se noyer ?), Marie Vermillard éveille l’attention du spectateur sans nuire au réalisme de l’ensemble. De même que les hommes de la troupe improvisent une partie de foot avec un ballon à moitié crevé, la cinéaste démontre ici qu’on peut réaliser un très beau moment de cinéma avec à peu près rien, si ce n’est le pur plaisir d’être ensemble. Cette séquence confirme avec bonheur la fameuse formule de Rivette selon laquelle « tout film est un reportage sur ses conditions de tournage ». L’entente mutuelle comme l’affection de Marie Vermillard pour ses interprètes y crèvent l’écran.
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