Fiction sobre et documentée sur le Rwanda, par un ancien reporter ayant couvert le conflit.
Grand reporter pour la télévision, Jean-Christophe Klotz (frère du cinéaste Nicolas) avait réalisé un des premiers reportages sur le génocide des Tutsis par les Hutus en 1994, puis un documentaire en 2006.
Pourquoi aujourd’hui ce retour au Rwanda par la fiction ? Sans doute pour filmer des choses qui ne trouvent pas leur place dans le registre documentaire, s’éloigner un peu (mais pas complètement) de l’interrogation géopolitique pour mieux s’approcher de l’expérience humaine, ou plutôt des expériences humaines, qui expliquent le pluriel du titre.
Lignes de front met ainsi en scène les victimes (les Tutsis, mais aussi les Hutus modérés), les bourreaux hutus, les casques bleus de l’ONU (qui avaient le droit d’utiliser leurs armes uniquement en cas d’agression contre eux, mais pas pour empêcher les génocidaires de massacrer), et bien sûr les journalistes et reporters d’images.
Klotz nous présente ces divers protagonistes par l’entremise d’Antoine Rives (Jalil Lespert), personnage de reporter indépendant largement autobiographique.
Rives débarque au Rwanda en plein génocide en compagnie de Clément (Cyril Gueï), un étudiant hutu qui recherche sa fiancée tutsie. En suivant leur périple, on croise les forces de l’ONU aussi débordées qu’impuissantes, des charniers à chaque carrefour, un prêtre qui cache des dizaines de réfugiés entassés dans son église.
Au-delà de la situation atroce et de l’incurie de la communauté internationale, le film interroge le rôle et le statut des journalistes dans de telles situations. Le reporter doit-il se borner à raconter, ou intervenir ? Face aux exactions, doit-il continuer à filmer, ou poser sa caméra et secourir les victimes ? Quel est le sens et la finalité de l’info télévisée ? Les atrocités du monde sont-elles solubles dans la variable Audimat ?
Klotz traite ces sujets difficiles avec beaucoup de sobriété et de tact. S’il filme des cadavres, il ne montre jamais de blessures en gros plan ou de massacreurs en train de découper à vif leurs proies. Il montre l’horreur sans glisser dans l’obscénité, ou le genre gore qui serait ici inapproprié.
Privilégiant les scènes nocturnes, les lumières grises, Klotz évite le pathos et le spectaculaire, maintient une sécheresse qui permet d’autant mieux les jaillissements d’émotion.
Quelque part entre le reporter d’Antonioni, le GI “théséen” d’Apocalypse Now ou le journaliste de La Déchirure, Lespert est convaincant, baroudeur dont le cuir épais finit par se liquéfier face à l’horreur.
Lignes de front est irréprochable, mais en même temps prévisible. Il traite parfaitement ses sujets, mais sans les dépasser. On ne résiste pas à comparer ce film à celui de Claire Denis, qui évoque aussi les conflits africains mais en décollant vers une magie indéfinissable.
Entre Lignes de front et White Material se mesure l’écart qui existe entre un bon film prosaïque et du grand cinéma poétique.