Quand une légende de la photographie rock se penche sur le plus célèbre cliché de James Dean : un (auto)portrait attachant.
On comprend aisément pourquoi Anton Corbijn a réalisé Life, centré sur la rencontre légendaire entre le photographe Dennis Stock et le “pas encore mythe planétaire” James Dean. Photographier des stars des mythologies modernes que sont le cinéma et le rock, Corbijn n’a fait que ça, durant quasiment toute son existence.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Il avait débuté aux temps du punk et de la new-wave, immortalisant dans son objectif les Johnny Rotten, Joy Division, Nick Cave, puis des poids lourds de la célébrité mondiale tels que les Rolling Stones, Nirvana, Clint Eastwood, Vanessa Paradis, avec comme fils rouges des relations de travail au long cours avec U2 et Depeche Mode.
Son style est devenu très vite identifiable : un noir et blanc à la fois léché et contrasté, glamour et documentaire. Des images figées aux images mouvantes, le passage s’est fait lentement et naturellement à travers de multiples clips pour les musiciens cités. En 2007, il signe son premier long métrage, Control, “biopic” consacré à Joy Division et Ian Curtis avec lesquels il avait réalisé ses premiers travaux marquants.
Corbijn paie un tribut à ses pères et ses pairs
Corbijn est bien sûr trop jeune pour avoir connu James Dean et Dennis Stock, mais il est né en 1955, l’année de leur rencontre et de la célèbre session photo. On voit donc bien quel humus professionnel, existentiel et psychanalytique a pu nourrir ce projet. La rencontre Dean-Stock et le travail photo qui en a résulté a sans doute agi comme une scène originelle a posteriori pour Corbijn, qui a voulu payer son tribut à ses pères et ses pairs à travers ce film.
Life saute d’abord aux yeux par sa reconstitution fifties aussi méticuleuse que ce que l’on attend d’une production hollywoodienne. Il ne manque ici pas un chrome de diner ou de Cadillac, pas un costard cintré ou une coupe de cheveux gominée d’époque. Ce soin comporte le risque de tomber dans le gel passéiste, de dérouler une Amérique d’Epinal, de faire de Life un film sans life.
Ce sont les comédiens qui contrecarrent cette ornière potentielle, insufflant vie, chair et charme à ce chromo d’époque. L’intelligence de Corbijn, au-delà des questions de ressemblance, consiste à avoir interverti la distribution attendue, confiant le rôle du photographe méconnu à la star Robert Pattinson, et le rôle de l’icône à l’acteur pas encore aussi célèbre Dane DeHaan (révélé dans Chronicle de Josh Trank).
DeHaan parvient à faire exister le personnage de Dean
Le film y gagne sur les deux tableaux : tout en retenue et sobriété, Pattinson se glisse dans le rôle avec rigueur et humilité, donnant une belle visibilité et une solide incarnation à un photographe certes très important mais dont peu de gens connaissent le visage. Mais le rôle le plus difficile, voire impossible, revient à DeHaan. Comment jouer un type aussi célèbre et dix mille fois vu ? Comment réhumaniser une image aussi usée, figée dans la mémoire collective, sans tomber dans la caricature ?
Dans les premières scènes où figure Dean/DeHaan, on a un peu peur. Cette moue boudeuse, ces manières de bad boy ne sont-elles pas aussi artificielles qu’hyperattendues ? Et puis les choses s’arrangent au cours du film, sans doute à l’image de ce qui s’est passé dans la réalité entre Stock et Dean. Au fur et à mesure que la relation entre les deux hommes se noue, se réchauffe, gagne en confiance et en complicité, le jeu du comédien se détend, s’épaissit, se nuance, gagne en naturel et en crédibilité, parvient à faire exister le personnage et à chasser un peu l’image iconique.
Le mythe d’Achille éternellement rejoué
L’émotion particulière suscitée par ce film tient aussi au paradoxe entre la brièveté de l’amitié entre Dean et Stock (et de la session photo) et l’immortalité du travail qui en a résulté. A quoi tient la frontière entre la postérité et l’oubli ? Un physique avantageux, du talent, un décès prématuré… et pas mal de mystère. James Dean, c’est le mythe d’Achille éternellement rejoué (une vie brève mais glorieuse).
En nos temps modernes des images et de la technique, l’éternité légendaire, c’est parfois simple (et fragile) comme un coup de clic. Corbijn a saisi ce mystère avec humilité et ferveur.
{"type":"Banniere-Basse"}