Révélé par son premier long métrage, La Vie de Jésus, Bruno Dumont a choisi de creuser le même sillon : une production légère, des acteurs amateurs, le Nord comme décor. Avec, cette fois, un lieutenant de police comme personnage principal. Présentation du film par le cinéaste.Après La Vie de Jésus, je me suis vite mis […]
Révélé par son premier long métrage, La Vie de Jésus, Bruno Dumont a choisi de creuser le même sillon : une production légère, des acteurs amateurs, le Nord comme décor. Avec, cette fois, un lieutenant de police comme personnage principal. Présentation du film par le cinéaste.Après La Vie de Jésus, je me suis vite mis au travail. J’avais déjà commencé le suivant en montant le premier. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir beaucoup. Le personnage du flic était déjà dans La Vie de Jésus, son côté décalé m’avait séduit, sa relation avec le prévenu était assez inédite. De là, un déclic s’est fait et j’ai eu envie de faire un film policier. Mais il se démarque très vite de la veine policière, pour se désintégrer ! C’est une désintégration, en fait. Il y a un crime, une enquête, un policier qui cherche, des interrogatoires, et ça se désintègre par le personnage, par les situations qui lentement commencent à se détruire. En partant d’une situation assez classique, on entre, par le jeu, le récit et la mise en scène, dans un film brisé, qui va devenir irréel, surréaliste… Donner cette couleur m’a plu, comme de m’atteler à un genre du cinéma. Un policier, c’est quelqu’un qui cherche, et je trouvais ça intéressant. Moi, j’aime bien les gens qui cherchent, je ne voulais pas prendre un alchimiste qui cherche la pierre philosophale. Même si l’on cherche quelque chose de désuet, l’important est de chercher. Et ça donne du mouvement au récit : si le film dure deux heures et demie, c’est bien parce qu’il cherche.
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Le titre est venu naturellement, du choix du personnage qui est pétri d’humanité, et c’est avec un petit « h ». Et ce débordement, c’est la confrontation de ce type au récit. En même temps, le récit contrebalance le titre, l’équilibre se fait très vite. Ce que j’aime, c’est effacer toute cette prétention de l’esprit à dire des choses importantes. Je trouve ça très chiant. J’aime bien mettre un titre, comme ça, intellectuel, qui évoque une qualité et une recherche, sur un récit qui ne l’est pas du tout, car ça sent la terre tout le temps.
J’ai tourné pas mal en extérieur, à Bailleul, dans la campagne, mais pas dans le bocage comme dans La Vie de Jésus, là c’est beaucoup plus plat. Je n’ai pas eu plus de facilités pour faire mon deuxième film, au contraire, à cause du sujet : on est dans quel-que chose qui est le con-traire de l’industrie du cinéma, dans le sens où il n’y a pas de quoi se rassurer, il n’y a pas d’acteurs connus…
Ce qui est dur, c’est de ne pas refaire le même film, et pourtant je n’ai pas peur de tourner au même endroit parce que je pense qu’on peut y raconter d’autres histoires. Je me méfie beaucoup de ce qui est écrit. Donc j’ai beaucoup de souplesse à prendre des risques importants, avec des acteurs amateurs. Si je prenais un acteur, je pourrais lui demander de composer à partir de ce que j’écrit, alors que je fais le contraire : je me débarrasse de mon scénario pour trouver des gens, c’est mon scénario qui vient les épouser, pas le contraire. Je fais très peu de prises. Je m’épuise très vite dans le travail avec l’acteur, il y a dans la répétition quelque chose de terriblement lassant. Dans mon travail, il y a l’envie de retourner à la simplicité. En fait, c’est un travail qui consiste plus à se débarrasser : ce n’est pas de la construction, c’est plutôt de la déconstruction. Je détruis beaucoup.
Ce que je trouve fantastique, c’est au montage, quand on associe deux plans qui sont complètement neutres et que tout à coup ça dégage, alors ça c’est formidable. La médiocrité ne me fait pas peur, les acteurs amateurs ont quelque chose de médiocre, qui est celle de tous, et c’est très fort. Moi j’aime le côté non fini, je finis au montage, je n’ai pas besoin de finir au tournage. Il y a donc plein de petites choses inabouties, inachevées, médiocres, ratées, et il ne faut pas en avoir peur. Le cinéma industriel, c’est justement de se rassurer au maximum, avec des acteurs qui sont bons, des techniciens qui sont bons, et il ne se passe plus rien. Il faut de la maladresse, du risque, c’est ce qui est excitant. »
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