Reprise John Ford a beau avoir fait le voyage en Irlande pour filmer les extérieurs de L’Homme tranquille (bon prétexte), son Connemara magnifié par le Technicolor n’a pas plus de réalité documentaire que l’Ecosse de Brigadoon. Il s’agit bien d’un lieu féerique, hors du temps, avec ses chaumières de conte, ses chevauchées sur la lande, […]
Reprise John Ford a beau avoir fait le voyage en Irlande pour filmer les extérieurs de L’Homme tranquille (bon prétexte), son Connemara magnifié par le Technicolor n’a pas plus de réalité documentaire que l’Ecosse de Brigadoon. Il s’agit bien d’un lieu féerique, hors du temps, avec ses chaumières de conte, ses chevauchées sur la lande, ses bagarres, amours et beuveries homériques. Une utopie pastorale enluminée, donc une fiction, repeinte par l’expatrié de retour d’Amérique aux couleurs vert émeraude de la mémoire. De même que la belle bergère ne peut être qu’un rêve, ou mieux, selon l’expert local, « un mirage causé par la soif ». Car de cette idéalisation, Ford n’est évidemment pas dupe : simplement, il confronte le rêve irlandais de l’Américain non à un quelconque réel, mais à un autre rêve non moins têtu, celui, apparemment matérialiste mais éminemment symbolique, de la jeune épousée attachée à sa dot et à son mobilier. Et puisque la communauté est exempte de menaces extérieures, c’est l’enclos lui-même, le foyer, qui devient l’enjeu du conflit, avec en son cœur le lit conjugal.
L’Irlande ici ne serait qu’une image, si ce n’est qu’elle est avant tout discours, tout en logorrhée, emphase rhétorique, éruptions du chant, confessions en gaélique. Cette histoire intimiste racontée sur le mode épique relève du blarney, de la galéjade locale : on rivalise de forfanterie et on colporte des rumeurs, même s’il n’y a pas de pire insulte que de se faire traiter de menteur. Premier coupable : le narrateur lui-même, qui n’est autre que le prêtre de la paroisse, justifiant à coups de casuistique toutes les conspirations qui peuvent hâter le happy end. Le groupe est si bien réconcilié que les catholiques sont prêts à se déguiser en fidèles protestants pour faire corps derrière le pasteur local. Tant chez Ford que chez McCarey, la religion bien comprise autorise tout, jusqu’à l’aveu détourné du désir.
Et pourtant, sous ce torrent verbal, Ford retrouve comme rarement la plastique de ses films muets, dans l’invention du paysage, l’immédiateté des postures, jusqu’à l’irruption d’un vent moins entendu que vu. Et une apparition : quasi-griffithienne, Maureen O’Hara déchaîne les orages et puis s’y abandonne ; déjà rohmérienne, elle diffère l’assouvissement de son désir pour mieux l’exacerber. Incarnation de l’érotisme fordien, elle irradie ce film qui est comme l’art d’aimer du cinéaste.
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