Il est rare qu’on puisse lire par-dessus l’épaule d’un génie pour découvrir un de ses brouillons. Très inférieure à son remake américain, cette première version de L’Homme qui en savait trop montre un Hitchcock en train de faire ses gammes, essayant de donner de la profondeur à ses visions sans y parvenir tout à fait. […]
Il est rare qu’on puisse lire par-dessus l’épaule d’un génie pour découvrir un de ses brouillons. Très inférieure à son remake américain, cette première version de L’Homme qui en savait trop montre un Hitchcock en train de faire ses gammes, essayant de donner de la profondeur à ses visions sans y parvenir tout à fait. Il se dégage de l’ensemble une impression de légèreté, un flegme qui semble signifier que tout cela n’est qu’un jeu de (bonne) société et que rien de vraiment grave ne peut arriver. En situant le début du film à Saint-Moritz (un de ses lieux de villégiature favoris), Hitchcock s’est souvenu de sa lune de miel avec Alma huit ans plus tôt et s’est beaucoup amusé à faire survenir un meurtre au milieu des rires et des danses. Une fois posé le principe de la petite famille anglaise sans histoires précipitée dans un complot qui la dépasse, le film oscille curieusement entre images fortes (six mains montrent l’impact de la balle sur la vitre, le visage effrayé de la fillette kidnappée sur un traîneau) et gratuité d’une intrigue plus proche de la Bibliothèque Rose que des fondements de l’angoisse moderne. Comme l’oncle qui aime jouer au train électrique, des protagonistes infantiles suivent sans peine le fil d’une intrigue de divertissement et se sortent sans mal de pièges peu sophistiqués. On sourit alors qu’on devrait avoir peur. Parce que les comédiens sont trop faibles et les moyens techniques de la Gaumont-British trop en retard sur l’imaginaire délirant du maître. Si Hitchcock n’a jamais cessé de remettre son ouvrage sur le métier pour atteindre la perfection, L’Homme qui en savait trop reste le seul film qu’il a entièrement repris scène à scène. Seul le morceau de bravoure du Royal Albert Hall a été peu retouché, sans doute parce que, là, le crime était déjà presque parfait, la figure presque achevée. Malgré cette séquence, le film peine à dépasser le niveau de la fantaisie criminelle bien troussée. Manque la gestion du temps mort inquiétant, l’hystérie touristique de la famille américaine perdue en terre étrangère et le jeu de fausses pistes tragiques qui feront de la seconde version un sommet de l’œuvre. Pour bien enfoncer le clou et transformer un essai de jeunesse en symphonie de la catastrophe et du fourvoiement, Hitchcock reviendra à Londres pour faire de sa ville une cité tentaculaire où noms et lieux se confondent. Cette première version manque d’un Ambrose Chapel.
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