Avec “L’Homme d’argile”, Anaïs Tellenne réalise un beau premier film et s’annonce comme une cinéaste prometteuse.
Raphaël (Raphaël Thiéry) est borgne. À 50 ans, ce gardien de manoir ne voit que partiellement, en deux dimensions, le monde qui l’entoure. Aux abords du domaine bourgeois, il occupe avec sa vieille mère un petit pavillon. Installé dans un quotidien à priori imperturbable, fait de chasse aux taupes, de cornemuse et de jeux SM avec la postière du coin, il est pourtant ébranlé un soir d’orage par l’apparition de Garance (Emmanuelle Devos), fille héritière de la propriété et artiste contemporaine en vogue, qui débarque avec le cœur brisé.
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Pour son premier long métrage, Anaïs Tellenne réalise une œuvre à la fois anachronique, travaillée par un imaginaire de contes et de films associés (de Cocteau à Demy), et totalement d’aujourd’hui. D’aujourd’hui parce que tout dans L’Homme d’argile semble modelé selon une pensée qui ne cesse de réfléchir à la question du regard, du genre et de ce qui définit la norme.
Quand Garance pose ses yeux d’artiste sur Raphaël – dont elle compare l’impressionnante carrure et les traits irréguliers à un paysage – pour le sculpter, c’est en une autre personne que ce dernier commence à muter. Quelque chose alors dans son geste, qui consiste à pétrir une matière pour lui donner forme, vient contrecarrer la vision plate de Raphaël, apporter au discours convenu sur sa supposée laideur contrastes et profondeur.
Emmanuelle Devos virile et sensuelle
Dans cette pratique voyeuriste et amoureuse, c’est évidemment celle d’une cinéaste en plein action qui s’exécute (elle qui n’est pas soupçonnée de mépris de classe, contrairement à Garance, notion trop vite esquissée et enfermée dans une représentation quelque peu binaire). Tout en étant par endroits trop attaché à l’application soigneuse de son scénario, L’Homme d’argile épouse avec la même générosité sa théorie en embrassant les artifices du cinéma et ses irréelles nuits américaines pour mieux en célébrer l’artisanat, mais aussi redéfinir les contours de ses poncifs sur le désirant et le désiré.
C’est ainsi qu’Anaïs Tellenne redistribue les cartes, confère à Emmanuelle Devos une puissance virile et sensuelle rare, et à Raphaël Thiery une fragilité émouvante comme pour nous raconter aussi la compatibilité heureuse entre passé et présent d’un art du faux capable du vrai.
L’Homme d’argile d’Anaïs Tellenne, avec Emmanuelle Devos, Raphaël Thiéry, Mireille Pitot. En salle le 24 janvier.
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