Présenté en compétition au Festival de Cannes, “L’Histoire de ma femme” raconte la plongée paranoïaque d’un homme amoureux enfermé dans une éducation machiste.
“Je pourrais épouser la première femme qui passe cette porte”. Dans un café du début du siècle, un capitaine de bateau en fait le pari. Il s’approche timidement de celle qui vient de fouler le sol de ce lieu. Son visage est encore caché par son chapeau, puis il apparaît dans le cadre. C’est celui de la française Léa Seydoux (Lizzy, sans patronyme). Sans doute que Jakob Naber (le Néerlandais Gijs Naber) est ignare en matière de passion amoureuse, sans doute n’en a-t-il jamais vécu, et n’a jamais entendu parler de celles qui dévorent le cœur. Il ne faudra pas moins d’un regard échangé pour que l’on comprenne qu’un sortilège entre lui et elle vient d’être scellé.
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Adapté du roman hongrois éponyme de Milán Füst, paru en 1942, L’Histoire de ma femme décrit la paranoïa amoureuse d’un homme obsédé par la crainte d’un adultère (incarné ici par Louis Garrel). Film fleuve de trois heures, balancé entre Paris et Hambourg, le nouveau long métrage de la Hongroise Ildikó Enyedi (Caméra d’Or à Cannes en 1989 pour Mon XXe siècle et Ours d’Or à Berlin en 2017 pour Corps et Âme) est une passionnante étude du couple au passé, regardé depuis aujourd’hui, c’est-à-dire appréhendé comme un mystère. Trouble et complexe, L’Histoire de ma femme joue des clichés, et s’amuse à faire porter les atours de la vamp vénéneuse à Lizzy (Léa Seydoux excelle), pour mieux percer les logiques machistes, à peine perceptibles, qui poussent son personnage masculin, Jakob à agir.
Récit proustien
“Que léguer à mon fils ?”, s’interroge Jakob Naber qui souffre de l’amour mais surtout du fait que, par lui, il se retrouve destitué de ses pouvoirs d’homme, de sa connaissance du monde puisque sa femme est cette “énigme” qui lui échappe. Ce qu’il lègue alors, ce sont sans doute les résidus d’un patriarcat si bien digéré qu’il ne peut être nommé et le film d’Ildikó Enyedi inscrit jusque dans son titre le caractère (au départ du moins), interchangeable de cette femme choisie comme un cheval de course, et dont le rôle n’est autre qu’être la possession de l’homme. Un homme ignorant des femmes qui ne vit que dans un monde masculin, aux côtés de ces beaux marins comme sortis de chez Fassbinder, donnant au film un sous-texte homo-érotique à peine refoulé.
L’Histoire de ma femme a quelque chose de proustien, à la fois dans l’obsession amoureuse de son personnage, mais aussi dans la manière qu’a le film de saisir l’évanescence du temps et le mouvement de la vie. Un mouvement pris ici dans le grain somptueux des images aux couleurs délavées de Marcell Rév (chef opérateur notamment sur Euphoria), qui s’engourdit par le sentiment amoureux. Par cette simple idée d’un ralentissement, lldikó Enyedi révèle ainsi l’amour et la rencontre comme des outils d’arrêt sur image avec une lucidité d’observation qui permet de fixer le poids du temps et de saisir les instants (une rencontre au café) qui plus tard, dans la mémoire, resteront. Avant qu’un tramway, et un fantôme de passage, ne nous en éloignent.
L’Histoire de ma femme d’Ildikó Enyedi, avec Léa Seydoux, Gijs Naber et Louis Garrel
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