Pour son quatrième long métrage en 1969, Coppola filmait avec finesse et lyrisme des rencontres improbables, regardant femmes et hommes à égalité.
A l’époque, Francis Coppola a déjà trois longs métrages à son compteur : Dementia 13, produit par Corman ; Big Boy, dans un style apparenté Nouvelle Vague, et La Vallée du bonheur, comédie musicale de studio qui fut un grave échec commercial. Mais la carrière du cinéaste Coppola commence peut-être véritablement avec Les Gens de la pluie (Rain People), son quatrième long métrage donc, réalisé en 1969, et son premier film entièrement accompli. Un film qu’on est vraiment très heureux de redécouvrir !
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Sur un canevas d’époque – une femme, Natalie (la méconnue Shirley Knight et son faux air de Cate Blanchett), qui vient d’apprendre qu’elle est enceinte, part soudainement sur les routes où elle rencontre deux hommes, un ancien joueur de football américain traumatisé par une blessure à la tête, surnommé Killer (grande composition de James Caan), et un policier ambigu (Robert Duvall, déjà fascinant) –, Coppola propose ici une belle étude de personnages qui monte en puissance à mesure que le récit avance.
Au vu du premier quart d’heure, on se dit qu’on va assister à la fuite libératrice d’une femme aliénée. Mais, comme dans Wanda de Barbara Loden, réalisé l’année suivante, en 1970, ce qui se produit est forcément bien moins édifiant, bien plus cruel et plus complexe que ce qu’on pouvait imaginer.
La route comme espace de perdition
Car, dans Les Gens de la pluie, la route n’apprend rien à celle qui la prend. Bien plus, cette route est avant tout une étendue où on perd et où on se perd, un non-lieu où tous les repères se dissolvent, un espace de perdition en quelque sorte, où les rencontres sont troublantes, ambivalentes, potentiellement dangereuses.
Ce qui est fort dans Les Gens de la pluie, c’est la manière dont Coppola fait surgir ses personnages au coin de la route, sans explication inutile, et leur donne, le temps d’un film, un destin, fût-il douloureux ou même tragique.
Et ce qui est beau, c’est qu’il met ces mêmes personnages à égalité, hommes et femmes en particulier, qu’il les traite avec la même émotion, la même élégance – ce qui sera d’ailleurs une constante dans la plupart de ses films (même dans les deux premiers Parrain, où le personnage de Diane Keaton est magnifique), contrairement à son ami Scorsese qui a souvent du mal avec le genre féminin…
Un corps en trop
Pour autant, le centre du film de Coppola est bien la relation bouleversante qui se noue entre Natalie et Killer, cet homme-enfant qu’elle aime et qu’elle rejette à la fois, un peu à l’image de ce lien fondamentalement ambivalent que Gena Rowlands entretiendra, dix ans plus tard, avec l’enfant dans le Gloria de Cassavetes.
Killer, c’est un corps en trop, un corps trop grand qui émeut par son côté pataud, perpétuellement inadapté, un corps dont Natalie ne sait que faire et dont Killer lui-même ne sait que faire.
Ce qui se joue dans ce couple improbable est d’une infinie subtilité, hors des convenances sociales et des conventions dramatiques. La liberté que s’octroie Coppola dans ce film, elle est là : moins dans la manière d’épouser son époque (1969 !) que de capter, avec toute la finesse et le lyrisme dont il est capable, l’imprévisible, la folie latente, les micro-mouvements qui traversent ses personnages, la complexité de leurs sentiments… D’ores et déjà, la marque d’un grand metteur en scène !
Les Gens de la pluie de Francis Ford Coppola, avec James Caan, Shirley Knight, Robert Duvall (E.-U., 1969, 1 h 41, reprise le 18 décembre)
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