Qu’est ce qui d’une vie se dépose, se transmet, se transforme? Le très émouvant récit d’un héritage dans une famille dispersée.
Alors que viennent de se refermer les Césars 2008 et que l’on a encore en mémoire le discours de Pascale Ferran sur le cinéma du “milieu” lors de la précédente édition, L’Heure d’été surgit en beauté comme l’incarnation quasi parfaite de ce que peut être ce cinéma du milieu à son meilleur. Un film qui s’offre comme le solstice d’un Olivier Assayas en pleine possession tranquille de ses moyens, éclairant le cinéma français comme une journée qui rallonge. En surface, rien n’est plus classiquement français que ce film, resucée apparente de romanesque bourgeois dix-neuviémiste. Une famille est réunie l’été dans une belle demeure : soleil, jardin, meubles classés, tableaux de valeur, repas plantureux, générations mêlées de la grand-mère à une nichée de mômes, tous les ingrédients d’une douceur de vivre liée à la grande bourgeoisie sont là, jusqu’à la fidèle domestique en cuisine. On fête les 75 ans de la matriarche (géniale et coupante Edith Scob). Veuve d’un peintre et sentant sa fin prochaine, elle convoque en aparté son fils aîné (Charles Berling, parfait) pour lui parler héritage. Effectivement, une ellipse plus loin, la doyenne décède. Les trois enfants, deux frères et une sœur (Juliette Binoche et Jérémie Renier, très bien aussi), se retrouvent devant les classiques difficultés d’une succession comportant un patrimoine important et non liquide : chagrin, partage délicat, confusion entre l’affectif et le patrimonial, conflits entre héritiers aux sensibilités et intérêts divergents… Que faire des tableaux, des objets, de la maison ? Comment faire son deuil ?
Cette histoire pourrait faire le miel d’un Sautet ou d’un Téchiné, elle semble taillée pour plaire à ce fameux public familial ou adulte censé faire le succès des films du milieu. Vue par Assayas, elle revêt un tact, une finesse et une netteté au-dessus de la moyenne. La froideur distanciée du cinéaste convient parfaitement à ce matériau qui pourrait donner lieu à de la complaisance sentimentale ou sociale. Il suffit de voir comment Assayas évite de filmer de trop près les visages. Ou avec quelle classe il traite la peine du fils aîné, Frédéric : ce dernier garde toute sa contenance au moment où il vient régler les formalités funéraires, mais éclate en sanglots après coup : c’est filmé avec un recul pudique, à travers les vitres d’une voiture. Dans le tableau de cette famille en crise, entre douleur, tension latente et rivalités fratricides, Assayas fait de l’aquarelle de haute précision.
Il est intéressant de voir aussi comment le cinéaste introduit sa propre sensibilité de rockeur et de voyageur du monde dans son matériau si français : un des frères est cadre dans une multinationale à Pékin, la sœur est styliste à New York, ce qui complique évidemment la transmission du patrimoine. La génération quadra est mondialisée et Assayas filme là autant son propre éthos de cinéaste français et de citoyen international que le portrait d’une France en train de muter sous la pression de la globalisation. L’Heure d’été déploie aussi en sourdine un questionnement sur le destin et la nature de l’art. Un objet, un tableau, un meuble doivent-ils rester dans les patrimoines privés et demeurer vivants ou se démocratiser en passant dans le patrimoine public au risque d’une muséification morbide ?
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On pressent comment un tel film risque d’être taxé de bourgeois, voire de politiquement douteux à l’heure de la précarisation grandissante de la société. Mais la bourgeoisie fait partie de la réalité et toutes les zones du réel méritent d’être regardées et décrites par les artistes – ce ne sont pas Proust, Manet ou Renoir qui diraient le contraire. D’autre part, la façon dont le film montre la vieille cuisinière est assez exemplaire : elle est proche de ses employeurs, mais il y a une distance, une barrière de classe, merveilleusement montrée dans la séquence où elle tourne mélancoliquement à l’extérieur de la maison vide. Assayas ne (se) raconte pas d’histoires sur les différences sociales, lucidité cruelle qui n’empêche pas le vivre ensemble ni l’ironie : la domestique embarque ainsi un vase en souvenir de sa patronne, ignorant que celui-ci est signé et possède une grande valeur. Au moins sera-t-il fleuri et la mémoire de la défunte sera peut-être mieux entretenue et plus vivante dans un HLM que dans un musée.
A la fin, dans une séquence évoquant L’Eau froide, la génération des 16 ans s’empare in extremis de la maison et du film, loin des conflits patrimoniaux des aînés, mais dépositaire malgré tout d’un héritage. Une transmission plus ténue, plus immatérielle, mais également forte s’est opérée là aussi. En un geste filmique à la fois ample, discret et émouvant, Assayas réussit un film mille-feuille, rassemblant toutes les strates de son cinéma, d’une belle complexité de niveaux de lecture, mais aussi d’une saveur simple et immédiate.
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