L’ombre de Bresson plane sur cette adaptation kazakhe de Dostoïevski. Le beau retour d’un cinéaste remarqué à la fin des années 90.
Si l’on connaît le Kazakh Darejan Omirbaev depuis une vingtaine d’années (Kairat, Kardiogramma), cet unique rescapé de la micro-nouvelle vague d’Asie centrale nous surprend encore avec une adaptation moderne de Crime et châtiment de Dostoïevski (après avoir brillamment transposé Anna Karénine de Tolstoï dans le précédent Chouga).
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Il se place ici plus que jamais sous le patronage explicite de Robert Bresson (autre dostoïevskien de choc), et parvient quasiment à ressusciter le cinéma du Français janséniste. L’Etudiant n’est pas un plagiat, ni même une imitation. Mais Omirbaev est à ce point pénétré du sens de la métonymie, de la retenue et de la grâce bressoniennes, qu’elles infusent chaque plan de cette œuvre tournée à Almaty, au Kazakhstan.
Elle est par ailleurs émaillée de citations directes : on retrouve l’âne de Au hasard Balthazar ou la scène finale dans la prison de Pickpocket, sans parler de L’Argent de Bresson, film fétiche d’Omirbaev, avec lequel il entretient une connivenceévidente. Omirbaev partage le fatalisme religieux de Bresson comme ses propos désabusés sur la société contemporaine.
Reprenant son propos dans Chouga, il s’attaque aux parvenus kazakhs qui modèlent leur domination vulgaire sur celle de leurs cousins russes (superbe scène d’ouverture sur un tournage, où une starlette abuse de son pouvoir en lâchant des hommes de main sur un pauvre assistant). Le cinéaste stigmatise l’individualisme criminel de notre société occidentalisée, tel que l’énonce distinctement une prof de l’étudiant, dont les préconisations choquantes sont calquées sur la morale sauvage des requins de la finance. Déclaration contrebalancée plus tard par un autre enseignant qui prônera des valeurs humaines et altruistes (incarnées par un poète triste et romantique).
Mais entretemps, le mal aura été fait et l’étudiant aura pris au pied de la lettre les préceptes cyniques de sa première prof en commettant un crime. Toute (enfin presque) la beauté du film réside dans cette littéralité. Omirbaev adapte Dostoïevski à la façon de Bresson, sans fioritures ni détours. Considérant que les situations sont évidentes, il n’a besoin que d’un indice, d’un plan-constat pour les décrire. La réalité et/ou l’horreur ne résident pas dans l’action mais dans son résultat.
Exemple d’ellipses parmi d’autres : la poursuite du voleur du sac d’une jeune fille par le héros, puis ses conséquences tragicomiques. Il y a une part d’humour sous-jacent dans cette pantomime transcendante et fataliste où le cinéaste ironise discrètement sur les infortunes de son héros irresponsable et meurtrier. Car la rédemption – dont le corollaire bressonnien est la grâce (divine) – viendra ensuite, inévitablement.
L’Etudiant, bain de fraîcheur et de jouvence, est une fiction résolument orientée vers le réel, dont la beauté réside dans sa manière d’isoler la pureté du regard, du geste et de l’éclat. L’inverse exact du cinéma dominant où règnent incrustation, déformation cosmétique et confusion pyrotechnique. Le kitsch probablement…
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