Un trésor inédit de 1969, poème halluciné et primitif sur l’immigration maghrébine.
Pas une année sans qu’on n’exhume un trésor inédit, oublié ou un incunable. Cette fois, il s’agit d’un film tourné en 1969, mais jamais sorti. Retrouvé par la fille du cinéaste, ce joyau miraculé est un objet rare et fruste – numérisé d’après la copie de travail de l’époque car le négatif a disparu –, en noir et blanc souvent granuleux, charbonneux ; parfois en couleur. Il intègre aussi des images tournées dix ans plus tôt en Tunisie pour un court métrage perdu intitulé Le Silence. Pour ajouter à sa malédiction, il fut tourné avec l’aide de Chris Marker, qui le désavoua. Il eut tort. Lettre à la prison, missive imaginaire adressée (et dite) par un jeune Tunisien tout juste débarqué à Marseille à son frère, suspecté de meurtre et incarcéré à Paris, est en fait le chaînon manquant entre le cinéma d’avant-garde des années 1910-20 et la Nouvelle Vague. Un poème sans narration continue, ponctué de leitmotive oniriques, qui participent à un ressassement à la fois visuel et verbal. Ce n’est pas un hasard si Marc Scialom a aussi traduit La Divine Comédie. Lettre à la prison a été tourné à la fin des années 60, mais semble plus ancien. Sans doute à cause de ses images, parfois carbonisées par le temps, ou de l’intégration de plans plus lointains, archaïques, tournés en Tunisie. La beauté du film réside dans ce ressac obsessionnel et cyclique des images, de bribes d’histoire, dans l’alternance de gros plans et de plans larges. Il y a d’une part le récit presque objectif de l’arrivée d’un jeune Maghrébin à Marseille, de sa découverte de la ville, son déphasage, ses problèmes matériels. C’est bien un film sur la condition des jeunes Maghrébins exilés en France à l’époque. D’autre part, il y a une dimension plus erratique, quasi fantastique : phrases obsessionnelles, plans répétés – comme la rangée allégorique d’hommes en chemise blanche sur une vaste plage vide ; plan sublime de la femme relevant lentement ses cheveux qui ouvre le film. Mais aussi l’étrange moulage de la tête du père du héros, Tahar. La vérité s’avance masquée. On n’apprend pas directement que le frère de Tahar est soupçonné d’avoir tué une femme. Cela survient fugitivement. Le phrasé de la voix off au léger accent ajoute à l’envoûtement général de cette œuvre formidablement inclassable.
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