Une parabole sur les liens tourmentés entre l’amour et le temps.
Dans l’hôpital d’une Nouvelle-Orléans qui se prépare au passage de l’ouragan Katrina, une vieille dame prénommée Daisy (Cate Blanchett) va bientôt mourir. Elle demande à sa fille de lui lire les mémoires qu’a tenus un homme qu’elle a bien connu. Ce Benjamin Button (Brad Pitt) aurait dû être Monsieur Tout-le-monde s’il n’avait eu une particularité extraordinaire : il est né avec le physique d’un homme de 80 ans et a rajeuni toute sa vie, jusqu’à mourir nouveau-né. Mais comment vivre avec ceux qu’on aime quand on ne vit pas au même rythme qu’eux ? Comment vivre l’amour avec un grand A avec une femme qui n’a jamais vraiment le même âge que vous, qui ne coïncidera avec vous qu’un seul jour de vos deux existences ?
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Le film, structuré à l’aide de flash-backs, va nous raconter cette vie à rebours. De la nouvelle célèbre de Francis Scott Fitzgerald au thème si américain (la possibilité d’un retour au paradis perdu), Fincher et ses scénaristes n’ont quasiment retenu que l’idée de départ. Là où Fitzgerald filait avec malice la métaphore de la liberté, du détachement et de la sérénité, et donc de la “jeunesse éternelle” qu’offre le vieillissement, Fincher, en digne cinéaste, s’intéresse aux mouvements contraires, aux croisements, aux rencontres forcément singulières de Button avec les autres êtres humains. On retrouve ainsi, familière, la figure qui travaille le cinéma de Fincher depuis toujours, celle du labyrinthe (Se7en, Zodiac, etc.), mais envisagée ici du seul point de vue temporel – le film entretient de nombreuses correspondances avec L’Homme sans âge, le dernier film de Coppola. Notre perception du cours de la vie, du déroulement du temps – résumée dans l’idée d’une pendule dont l’aiguille remonte le temps afin de faire revivre les morts – va en être perturbée elle aussi.
Vient se greffer une histoire d’amour unique, réciproque, celle de Button et de Daisy, bien plus intense et romantique que chez Fitzgerald. Au-delà de l’idéologie affichée et donc apparente du film, assez mièvre, sur l’utilité de toute vie humaine, ce sont les méandres et les voies tourmentées de l’amour que décrit Fincher, en accumulant volontiers et sans vergogne les clichés (c’est-à-dire non des images fausses, mais des images figées), comme s’il en dressait l’inventaire. Le film, qui use de registres et de styles d’images multiples, prend la forme d’un album de photos-souvenirs animées dont on tournerait les pages avec la prémonition d’un petit pincement au coeur ; d’une recension des diverses images de l’amour dans notre inconscient collectif. Chaque rencontre avec Daisy a un côté “déjà-vu” qui donne tout son charme au film : Pitt en James Dean, Pitt en héros hemingwayen (la scène parisienne), etc. Fincher, à chaque tournant de son programme, cherche manifestement à produire des images : que se passe-t-il, quand, par exemple, un vieillard et une jeune femme s’aiment, quelle image en résulte-t-il ? Quel spectacle, quel tableau offrent un nourrisson qui s’éteint dans les bras d’une vieille amoureuse (scène proprement sidérante) ?
L’Etrange Histoire de Benjamin Button raconte donc mille histoires possibles, mille films, mille romans d’amour en même temps, par citations, extraits, clips. Le numérique ici est prépondérant. Car le plus troublant dans ce ballet amoureux d’un homme et d’une femme toujours décalés, c’est que les deux êtres de cinéma que sont Brad Pitt et Cate Blanchett n’apparaissent jamais tels qu’en eux-mêmes, mais toujours rafistolés, modifiés, lissés ou ridés par des effets spéciaux qui les rajeunissent ou les vieillissent sans que sous le maquillage leurs vrais traits ne disparaissent jamais. Cocteau disait que le cinéma est “la mort au travail”. Le film de Fincher, de bout en bout, est une tentative désespérée d’éviter les effets du temps sur ses acteurs.
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