Un lumineux teen-moovie sous forme de chronique d’été bouscule avec joie les lignes du documentaire et de la fiction. Une grande promesse du cinéma italien.
C’est un petit secret qui se partageait depuis quelques mois déjà de festival en festival. Ceux qui l’avaient découvert évoquaient un rayonnant premier film italien, un objet hybride situé à la frontière poreuse qui sépare la fiction du documentaire (là où le cinéma transalpin semble se réinventer depuis La Bocca del lupo ou Le Quattro Volte) et dont la beauté agissait comme un entêtant venin toxique et euphorisant.
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La rumeur était fondée : L’Eté de Giacomo est, dès son introduction, une splendeur rare dont la virtuosité discrète élève son auteur, le jeune Alessandro Comodin, 30 ans à peine, au rang des plus précieuses découvertes contemporaines.
Une réussite d’autant plus inattendue qu’elle éclot d’un genre, d’un territoire, déjà largement fréquenté ailleurs : le récit d’initiation adolescente, la chronique réaliste d’un été fait de conquêtes et de passions aventurières, de désirs balbutiants et de spleens passagers. Seul, peut-être, son décor est encore vierge de toute image : la campagne du nord de l’Italie, les replis du Frioul zébrés de fleuves bleu turquoise et de plages sauvages, secrets jardins d’Eden où échouent Giacomo et son amie, la belle Stefania.
Ils passeront quelques jours ici, partagés entre les jeux d’eau et de séduction, les explorations d’une forêt luxuriante et pleine de dangers (forêt“di mierda”, disent-ils), les bals dansants et les joints que l’on fume en attendant le vertige, tous ces instants saisis dans la langueur de superbes plans-séquences attentifs aux bruissements de la nature.
C’est trois fois rien, un teen-movie irradié par le soleil, drôle et attendri, qui rejoue l’éternel franchissement de l’enfance ; un petit air populaire et nostalgique mais d’où survient pourtant une forme inconnue de sublime.
Car Giacomo n’est pas un adolescent ordinaire : il est sourd, et son rapport au monde (une sorte de ravissement imperturbable, une écoute obstinée à la beauté des choses) semble entièrement dicté par son handicap. L’habituel récit d’éveil au désir, prétexté au début par le film, se double alors d’une dimension sensorielle unique, où chaque micro-événement (marcher pieds nus dans la boue, tailler la route à vélo contre le vent, tournoyer à deux sur un manège) s’éprouve dans un état de sidération permanent.
D’une scène à l’autre, le film recueille ainsi une série d’épiphanies, littéralement suspendues au seul regard émerveillé de Giacomo, à ses palpitations et troubles perceptifs qui font d’un feu d’artifice un peu mesquin un moment d’absolu.
Comme dans Blissfully Yours d’Apichatpong Weerasethakul (dont l’ombre bienveillante plane sur tout le film), il s’agit ici de rechercher (et parfois de provoquer) dans la matière documentaire ce moment de “bliss”, cette extase vers laquelle les personnages s’acheminent doucement.
Or la conquête de ces désirs, le rituel passage de l’adolescence, est aussi synonyme d’abandon dans L’Eté de Giacomo, qui se referme par une ellipse soudaine sur un sentiment d’angoisse vertigineux – où l’on pense cette fois-ci à la rupture qui déchirait en son centre Tropical Malady, autre film de Weerasethakul.
Au terme de l’été, donc du film, le personnage de Stefania a brutalement disparu, remplacé par une nouvelle fille dans les bras de Giacomo, tandis qu’en off une mystérieuse voix regrette que le temps passe si vite, que les amours fanent si tôt. Et avec elle survient la révélation (cruelle) que tout ce qui a précédé n’était finalement qu’éphémère, fragile, voué à disparaître : un songe flottant dans la moiteur saisonnière.
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