D’anciens photographes d’Indochine sont interrogés par une jeune femme. Un documentaire-fiction qui cherche le sens des images de guerre.
Qu’est-ce qui brûle les yeux ? Le soleil incendiaire au-dessus du soldat à l’agonie “immortalisé” par le photographe de guerre Marc Flament ? Ou alors justement cette mort qui ne peut se regarder qu’à travers l’objectif de l’appareil ? Cette raison primitive de la photographie, théorisée dans un article légendaire d’André Bazin paru en 1958 (Ontologie de l’image photographique), Les Yeux brûlés en est sans doute une des illustrations les plus concrètes vues au cinéma.
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Commandé en 1986 par le service cinématographique des armées, le film de Laurent Roth n’était encore jamais sorti en salle et rassemble, à l’aéroport de Roissy, une poignée d’anciens photographes d’Indochine, interrogés par la comédienne Mireille Perrier, vue alors dans Elle a passé tant d’heures sous les sunlights… de Philippe Garrel et dans Boy Meets Girl de Leos Carax et qui joue ici un curieux rôle d’actrice-intervieweuse, ni tout à fait elle-même, ni vraiment dans un rôle.
Une espèce de candeur trompeuse
Pour argument, la réception de la mystérieuse cantine militaire d’un ancien reporter tombé au combat, malle remplie d’images qui inondent bientôt l’écran : bandes filmées, photographies que la jeune femme et ses interlocuteurs commentent. Les questions posées par Perrier à ses “invités” (sur les banquettes orangées du Roissy eighties façon canapé de Michel Drucker) sont pleines d’une espèce de candeur trompeuse, d’un étonnement de jeune fille qui met les pieds dans le plat des images filmées au combat, cette “matière orgiaque qui raconte une ‘passion’, une ivresse, une transe, celle des opérateurs de guerre de tous les temps”, telle que la décrit Laurent Roth.
Ainsi Les Yeux brûlés racle le vieux fond transcendantal de la guerre, lieu primal dont ces vétérans sont les précieux témoins : il y a bien quelque chose de l’ordre du tabou mis à jour, festin de la mort et de l’image tenu secret au-dedans du conflit.
Même origine cachée
Nous n’avons pas affaire à d’anciens combattants sortis de l’anonymat mais, et c’est très troublant, aux futurs yeux du cinéma français, réalisateurs (Pierre Schoendoerffer), chefs opérateurs (Raoul Coutard) dont les regards partagent tout à coup la même origine cachée, avec cette idée que personne ne sait mieux ce qu’est une photographie que celui qui a photographié la guerre et que ce n’est pas pour rien si ceux-là sont tombés dans l’escarcelle du cinéma après leur service.
Il serait trop bête de chercher à arbitrer le film entre critique et éloge de la guerre : ni l’un ni l’autre, Les Yeux brûlés s’assoit fixement devant elle et soutient le regard.
Les Yeux brûlés de Laurent Roth (Fr., 1986, 58 min.)
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