Rémi Lange continue de cuisiner le journal de sa vie amoureuse, mais la crise de foi(e) guette. Bientôt la fiction ?
Au détour d’un plan festif volé à la Gay Pride de 1994, resurgit d’entre les morts Michel Journiac. En d’autres temps ante sida, le pape du body art distribuait des hosties boudins concoctées à partir de son propre sang. Pas même né pour communier à cette Messe pour un corps, Rémi Lange n’en est pas moins entré en dévotion, s’appliquant avec ses films à entailler son intimité pour nous « donner à manger des morceaux de soi« .
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Morceaux de choix ? Suite à son Omelette somme toute très comestible, il réitère son offrande : ingrédients identiques, mais accommodement sensiblement plus brouillon. Attention, la crise de foi(e) couve. Assumer la déclaration d’intention inaugurant Omelette, cette « destruction de la fiction » clamée haut et fort, n’était pas une position aisée à tenir. La révélation de son homosexualité entraînait Lange malgré lui sur la voie pavée du cinéma narratif, et cette réfutation d’un dispositif revendiqué scellait la tenue et la consistance du film. Précédemment étouffé dans l’ouf, l’aveu « Il me faut un sujet ! » éclôt ici sciemment.
L’absence de point de départ annihile les visées de Lange, le recours à l’événement se révèle indispensable. Comme il ne saurait advenir naturellement, le cinéaste va le précipiter et générer la crise dans laquelle il pourra proliférer. L’événement, c’est la vraie/fausse rupture avec Antoine, son compagnon. Le sujet ne manque plus dès lors que s’éclipse l’être aimé. Lange peut alors s’écorcher, pallier le vide en creusant la plaie. D’abord remuer le couteau dans le passé, briser l’écoulement des jours du diariste en se livrant, figure pour lui inédite, à la rétrospective ; puis remplacer, au moins charnellement, l’absent. Or si David, le nouvel amant, consent à se lover dans les draps et les bras de Lange, son corps, ou plutôt son regard, rechigne à s’inscrire dans le film.
Et Lange de se voir confronté au problème de tout cinéaste du réel, le droit à l’image. Pour que son oeuvre, mise en péril par la possible rétraction de David, reste visible, Lange se voit contraint, dans un curieux potlatch de la cécité, d’énucléer l’amant, scratchant le celluloïd de ses yeux. Mais, contagion, ce parasitage finit par nous atteindre et nous aveugler. Le « dégoût de filmer comme il faut« , qu’il entretient perversement, a raison de notre patience. On baisse alors le rideau, le journal sonore achevant de phagocyter le journal filmé. Seul subsiste le débit trépidant de sa voix, envoûtante à force d’irritation, hypnotique jusqu’à la somnolence. De passage à La Ciotat, ville-Lumière, Lange émettait le voeu de réaliser « un vrai film« , qui serait également une « histoire sans paroles« . On peine à y croire, mais s’il consent à abandonner le soliloque narcissique et à embrasser de front la fiction (c’est, paraît-il, à l’ordre du jour), peut-être sortirons-nous ensemble du brouillard.
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