Au début des années 70, Elia Kazan, déçu à juste titre par le résultat de son film L’Arrangement produit au sein du système hollywoodien, entreprend un projet radicalement indépendant : un film tourné en super-16, avec cinq acteurs et, pour unique décor, la maison familiale, un chalet isolé. Kazan retrouve avec ce tournage en équipe […]
Au début des années 70, Elia Kazan, déçu à juste titre par le résultat de son film L’Arrangement produit au sein du système hollywoodien, entreprend un projet radicalement indépendant : un film tourné en super-16, avec cinq acteurs et, pour unique décor, la maison familiale, un chalet isolé. Kazan retrouve avec ce tournage en équipe réduite l’enthousiasme de ses débuts de metteur en scène. Le spectateur est presque devant un « home-movie », sauf que le cinéaste est à mille lieues d’un quelconque amateurisme et que sa maîtrise technique et narrative fonctionne à plein régime.
La modernité de la forme des Visiteurs ne rend que plus pernicieuse son idéologie. Premier film abordant de front le problème vietnamien (avec Les Bérets verts de John Wayne !), Les Visiteurs utilise un fait divers pour construire la fiction la plus malfaisante qui soit et délivrer un message très suspect. Deux jeunes soldats accusés d’avoir violé et assassiné une Vietnamienne sont condamnés à plusieurs années de prison. Libérés, ils viennent « visiter » le soldat qui les a dénoncés, un intellectuel pacifiste qui vit reclus avec son épouse et son beau-père. La suite est prévisible, répondant à une logique implacable de la violence. Les deux jeunes gens sont montrés par Kazan comme des enfants perdus de l’Amérique, dépassés par les actes horribles qu’ils commirent. Il n’y a pas de crimes de guerre au Vietnam, semble vouloir dire le cinéaste, puisque cette guerre était elle-même un crime et que nous sommes tous coupables.
Quant à la jeune femme, féministe gauchiste, elle est troublée par la force des visiteurs, opposée à la virilité défaillante de son mari. Lorsqu’elle sera violée à son tour, elle jouira. Les Visiteurs est-il un film dérangeant, un film déplaisant ou simplement un film dégueulasse ? Serge Daney, dans un article « à chaud » dans Les Cahiers du cinéma, avait opté pour la troisième hypothèse. Au travers des réactions de personnages symboliques, le film propose une entreprise de déculpabilisation collective de l’Amérique confrontée au traumatisme vietnamien, mais aussi personnelle du cinéaste, hanté par la délation, et qui règle ses comptes en famille. L’Anatolien Kazan, devenu le plus Américain de tous, a épousé l’Amérique, au point de défendre des causes et des valeurs contradictoires. Ce mariage d’amour entraîne le cinéaste, du moins dans ce film, à soutenir son pays jusque dans ses errements les plus inacceptables.
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