En huit heures et cinq chapitres, C.W. Winter et Anders Edström explorent les cycles naturels de la vie paysanne au Japon. Une expérience immersive inoubliable.
Fruit d’un travail colossal du cinéaste californien C.W. Winter et du photographe suédois Anders Edström, réalisé au Japon, c’est une chronique monstre qui s’écrit au fil de cinq saisons, dans le quotidien d’une agricultrice et de son village, niché dans les montagnes de la région de Kyoto. Malgré ses chiffres astronomiques qui peuvent effrayer (dix années de production, pour une durée de plus de huit heures), Les Travaux et les Jours est un grand film simple.
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C’est une œuvre gigantesque mais à hauteur d’homme, dans une représentation d’une fatigue sylvestre à la clarté superbe. En panoramiques élégants et discrets, en plans fixes sages, cette ruralité saisie dans sa forme la plus nette est comme une esquisse tracée dans la terre des champs. Ce serait un film fleuve, mais au sens littéral, qui suivrait ainsi de façon irrésolue le cours de l’eau, dans un flux illimité et ondoyant, entièrement bercé par les battements de cœur de la nature.
Un chamanisme de la quotidienneté
Les Travaux et les Jours est une anthologie quotidienne à l’épreuve du temps, une vie paysanne captée dans sa fébrilité, vibrant au rythme des cycles naturels du jour et de la nuit. Une bière, une cigarette, des animaux, la chaleur de l’été. Tout semble être là, brut et minéral, livré aux quatre vents. Pourtant, le film n’est pas avare en signes de fiction pure. En témoigne par exemple la présence de Ryō Kase, figure reconnue aperçue chez Hong Sang-soo, Gondry ou Scorsese.
Aussi, le film rejoue des scènes du passé des habitant·es du village, notamment le deuil d’une dame ayant perdu son mari juste avant le début du tournage, fil rouge terrible de l’œuvre en captant une expérience de la mort inouïe. En effet, le film opère une chirurgie minutieuse, via une succession de couches de mémoire, souvent ritualisées, qui ne nous situent jamais vraiment, ni dans l’espace, le temps ou la fiction.
D’éternelles digressions où se recueillent les rituels du geste et de la parole
Une chirurgie qui flirte avec les médecines douces, comme un chamanisme de la quotidienneté, une hypnose des labeurs et des forêts (on a parfois vraiment l’impression d’être dans un état second, ce que favorise l’expérience de la durée monumentale). L’expérimentation hypnotique du film va jusqu’à proposer certaines séquences sans image, comme des ponts entre les saisons qui réhabituent notre oreille, notre pouls, notre âme à se remettre dans le fluide du fleuve.
Les cinq chapitres du film sont ouverts par un jisei, poème d’adieu à la vie écrit par des poètes sur leur lit de mort et qui est d’une économie émue. Aussi, à l’orée de leur agonie, les êtres humains ne cherchent pas nécessairement une dernière flamboyance mais trouvent, dans la simplicité des mots, leur plus bel éclat.
C’est tout le film, cette damnation d’une insignifiance impériale, la vie au travail qui file dans l’exécution renouvelée des tâches. Il tient dans le rythme de l’habitude, comme fonctionnent ses plans, d’éternelles digressions où se recueillent les rituels du geste et de la parole.
C’est finalement son plus beau présage, un attachement souverain et miraculeux au présent. Les Travaux et les Jours tient son titre d’un poème grec d’Hésiode qui donne lui aussi la description des travaux agricoles comme socle de l’humanité et nous lègue ce même héritage sublime : fuir les actions impies en observant le vol des oiseaux.
Les Travaux et les Jours de C.W. Winter et Anders Edström (É.-U., Suè., Jap., R.-U., 2020, 8 h 38). En salle le 22 juin.
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