Le couple du « Dernier Métro » vit l’histoire de « La Femme d’à côté ». L’autoanalyse de Téchiné en cinéaste truffaldien…
LE FILM : Un premier amour peut-il devenir un dernier amour ? Et un échec public en salle peut-il devenir un succès d’exploitation domestique ? L’amour offre-t-il une seconde chance aux vieux amants – et le DVD aux beaux films mal aimés ? Si la vie était aussi romanesque, généreuse et inattendue que dans les films de Téchiné, elle permettrait aux Temps qui changent de trouver enfin son public car, comme pour Antoine et Cécile, ses deux principaux protagonistes, il n’est jamais trop tard, et les rencontres les plus fortes sont peut-être des retrouvailles. Antoine et Cécile, donc. Antoine vient au Maroc pour superviser un chantier. C’est un homme solitaire, tendu vers une seule obsession, repriser une vieille histoire d’amour qui a rempli toute son existence, alors qu’il n’est plus qu’un lointain souvenir de jeunesse pour la femme aimée, Cécile. Antoine et Cécile, ce sont Gérard Depardieu et Catherine Deneuve. Ce n’est évidemment pas accessoire. Et pas seulement parce que ce sont deux acteurs immenses. Depardieu est absolument bouleversant dans le film, grosse baleine amorphe et échouée, marmonnant à mi-voix des paroles d’amour définitives. Face à ce grand iceberg somnolent, Deneuve est au contraire vive, emportée, un peu brusque, à la fois désinvolte et dure, et comme toujours parfaite. Mais Depardieu et Deneuve, ce ne sont pas seulement des acteurs. Ce sont aussi des images, des fantômes qui migrent d’autres films, d’un en particulier, entré dans le patrimoine génétique du cinéma français, Le Dernier Métro. Truffaut, c’est un peu l’Etoile noire du cinéma de Téchiné, un pôle d’inspiration jamais totalement assumé, un continent de cinéma où il a beaucoup puisé de comédiennes (Marie-France Pisier, Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Isabelle Adjani…) et une place dans le cinéma français – au cœur de l’industrie mais en grand indépendant – qu’il occupe mieux que nul autre. Mais aussi une sensibilité assez dissemblable, un rapport à la norme sociale et à sa marge tout à fait différent, qui explique peut-être que cette possible filiation n’ait jamais été traitée de façon directe. C’est chose faite avec Les temps qui changent, qui est un peu l’autoanalyse de Téchiné en cinéaste truffaldien. Le pitch du film pourrait se résumer à un énoncé purement métatextuel : le couple du Dernier Métro vit l’histoire de La Femme d’à côté. Cette mémoire du Dernier Métro, le film l’inscrit très directement à l’image grâce à une photo de Deneuve et Depardieu hors plateau, prise manifestement dans une soirée (les césars 1980 ?) à l’époque du triomphe du film de Truffaut. Mais, lorsque le couple du Dernier Métro se retrouve longtemps après, lorsqu’il se retrouve dans une voiture pour une explication fiévreuse et que la réflexion des arbres sur les vitres et le pare-brise transforme leur visage en paysage mouvant, c’est une très belle séquence de La Femme d’à côté qui est reproduite quasiment à l’identique. Par ailleurs, bien sûr, Gérard Depardieu s’appelle Antoine, comme déjà Daniel Auteuil dans Ma saison préférée, et nul doute que ce profil d’homme immature, un peu toqué, à jamais fidèle à son adolescence, doit son patronyme à Antoine Doinel. Enfin, Antoine recourt à la sorcellerie pour posséder Cécile (comme Adèle H. avec son lieutenant), et lorsque Cécile s’éprend enfin d’Antoine devenu un corps inerte dans le coma, on retrouve la veine la plus morbide de Truffaut, celle de La Chambre verte. Le souvenir de Truffaut traverse donc de part en part le film. Pourtant, malgré une grande proximité dans l’argument, Les temps qui changent, ce n’est pas La Femme d’à côté. Parce qu’il n’y a pas de tragique chez Téchiné, pas d’assomption dans le drame, d’irruption du sublime, de brutale fixation d’une image du temps. Les temps changent, vraiment. Tout se transforme, de façon à la fois insensible et inexorable. Ce qu’on croyait définitif n’était que provisoire. Et la force vive du cinéma de Téchiné est de penser que, en dépit du deuil permanent que cela occasionne, c’est beaucoup mieux comme ça.
LE DVD : L’édition est minimaliste. Seul bonus : une interview de Gilbert Melki.
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