Depuis plus de dix ans, les fuites d’informations sur Internet (ou spoilers) fragilisent la communication officielle des studios. Mais elles pourraient aussi bouleverser les techniques d’écriture des scénaristes.
« Le spoiler est-il en train de modifier le scénario ? » La question, posée par le critique rock et écrivain américain Chuck Klosterman (auteur de Sexe, Drogues et Pop Corn, éd Naïve) dans un essai publié sur le site d’opinion Grantland, trouve ces derniers jours un écho particulier. Jamais la machine de communication des studios hollywoodiens n’aura paru aussi faillible : Batman, Spiderman, Green Lantern, les projets les plus secrets se dévoilent sur Internet via les blogs et les sites spécialisés qui diffusent des informations officieuses.
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Notes de production, photos de tournage, vidéos volées par des amateurs ou annonces de casting, ces informations publiées sans contrôle bousculent l’agenda des studios, obligés à la hâte de revoir leur opération marketing. Mais la culture des spoilers, initiée selon Chuck Klosterman depuis Le Sixième Sens de M. Night Shyamalan (1999), et boostée par l’émergence des médias 2.0, pourrait aussi modifier en profondeur le cinéma contemporain en affectant le travail des scénaristes.
« Les scénaristes sont-ils influencés par le phénomène du spoiler avant même de commencer le processus d’écriture ? » s’interroge Chuck Klosterman. « Si vous savez qu’un twist sera inévitablement révélé avant que les gens ne voient le film (…) allez–vous quand même le tenter ? »
D’Inception à Batman, lose control
S’il avait pu anticiper les fuites sur le site Hitfix, Christopher Nolan aurait-il ainsi fait revenir le personnage de Liam Neeson (Rha’s Al Ghul, décédé dans Batman Begins) pour un rôle dans le très attendu The Dark Knigth Rises ? L’un des plus control freak des cinéastes hollywoodiens, qui avait presque réussi à entretenir le secret sur Inception (pourtant sensible aux spoilers), s’est fait totalement dépasser par quelques sites U.S : comicbookmovie.com le premier qui, après avoir posté une photo de Christian Bale dans un piteux état, a dévoilé des informations essentielles sur le script.
Alimentée par les fanboys, la course aux scoops s’est accélérée ces derniers jours : un petit malin filme depuis sa fenêtre le tournage d’une scène clé de The Amazing Spider-Man ; Stan Lee révèle la nature de son caméo dans les dernières aventures de l’homme araignée ; un autre pirate diffuse sur YouTube le générique de fin de Green Lantern (où l’on distingue un personnage du deuxième épisode). Un wikileaks à l’échelle des studios, dont les effets, à terme, pourraient reconfigurer le travail des scénaristes américains.
http://youtu.be/dfRlFx1icAI
Une « paralysie de l’anticipation »
Selon Chuck Klosterman, qui prend exemple sur l’un des showrunners de Lost, Damon Lindelof, la mode des spoilers a provoqué une « paralysie de l’anticipation » chez les scénaristes. Conscients du nouveau risque qu’implique l’écriture d’une histoire à twist (la révélation du secret dans les médias, donc la perte de l’intérêt commercial et artistique du film), les plumitifs d’Hollywood vivraient maintenant dans l’angoisse du spoiler.
« Les scénaristes connaissent leur public, (…) et ils savent très bien que certaines informations capitales sur leur projet fuiteront dans l’instant » explique Chuck Klosterman. Résultat : ils sont moins enclins à prendre des risques à l’étape de l’écriture, et le modèle du film à twist pourrait bien ne pas résister à la culture spoiler :
« Le risque d’avoir une histoire à twist ruinée est plus important que les gains potentiels. Il devient plus sûr pour le showrunner de Lost d’écrire quelque chose de plus simple, de moins fragile, même s’il voudrait faire autrement », indique le critique américain.
Romain Blondeau
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