L’actrice-cinéaste israélienne et son frère coréalisateur mettent à jour les déchirements d’une famille suite au décès d’un des siens. Un film imposant et viscéral.
Par quel bout prendre, comment donner envie de voir ce film étrange, étouffant et âpre, qui débute et se clôt dans un cimetière et qui se déroule entièrement dans une maison pendant près de deux heures… ? Dès la première scène, funèbre et grotesque, l’enjeu est posé : une famille juive se trouve rassemblée autour de la tombe d’un de ses membres, Maurice, qui vient de succomber à une crise cardiaque. Mais les sirènes se mettent à hurler (on apprendra plus tard que l’action a lieu pendant la première guerre du Golfe), et tout le monde, sauf la vieille mère du défunt, enfile au plus vite un masque à gaz : le film racontera l’histoire d’une communauté dont chacun des membres souffre et essaie péniblement de trouver son souffle en se cachant derrière un masque… Bientôt, pour obéir à la tradition, toute la famille va devoir cohabiter pendant une semaine d’affilée dans la maison de Maurice. Tels les personnages de L’Ange exterminateur de Buñuel, la famille ne peut plus se séparer, s’échapper, se fuir. Elle peut néanmoins se diviser…
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Dès lors, les réalisateurs, Ronit et Shlomi Elkabetz, frère et sœur dans la vie, vont alterner les scènes à deux ou trois et les scènes où tous les membres de la famille (pour la plupart la crème de la crème de la “grande famille” des acteurs israéliens) se trouvent réunis dans le deuil, la douleur, la tradition, le plan et le film – scènes de repas, de larmes et de prières collectives auxquelles nul ne peut couper, dans une sorte de grand camping installé au milieu du salon et qui voit se côtoyer indifféremment hommes et femmes, frères et sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, enfants et cousins. Filmée entièrement en plans fixes, sombres (on a obturé les fenêtres en signe de deuil) et longs (à la fois pour gagner du temps lors du tournage et pour exprimer l’enfermement), cette semaine de proximité imposée dans une maison va, comme on s’en doute, donner l’occasion aux comptes de se régler, aux petites histoires et aux gros secrets de remonter au grand jour, mais aussi aux corps de s’abandonner.
Disons-le : l’intérêt du film se situe moins dans les raisons des disputes qui vont naître – trahisons, adultères, histoires d’argent, jalousies classiques dans toutes les familles et tous les films, pourrait-on ajouter… – que dans la mise en scène des corps, dans la promiscuité imposée par le rite. Les corps, ça veut dire tout ce qu’il y a de plus trivial ou “tripal” : pets, constipation, etc. Tout est évoqué frontalement. Pour les deux cinéastes israéliens, il devient évident que tout l’enjeu de leur mise en scène va aussi passer par la disposition de ces corps vivants sur l’écran : comment faire tenir tout le monde dans le plan sans oublier quelqu’un, comment faire tenir une famille ensemble, et comment aussi – la métaphore est claire – décrire une société récente comme la société israélienne, dont les différentes composantes n’ont pas la même histoire, les mêmes traditions mais ont des reproches à se faire ?
Dans cette mise en scène de l’éclatement – comme dans leur précédent film, Prendre femme, début de la trilogie dont Les Sept Jours est le deuxième volet –, Ronit et Shlomi Elkabetz se servent largement de la langue, ou plutôt des langues qui tissent les liens et marquent l’origine des personnages : l’hébreu, bien sûr, la langue commune, mais parfois des bouts de français (surtout entre Viviane et son mari Eliahou, les héros de Prendre femme que l’on retrouve ici, toujours déchirés), de l’allemand aussi (du yiddish ?), comme dans cette scène bouleversante où la grande Hanna Laslo (Prix d’interprétation féminine à Cannes en 2005 pour son rôle dans Free Zone d’Amos Gitai) se met soudain à pester en allemand au sujet de cet argent que son oncle a reçu de l’Etat germanique et qu’elle doit lui rendre après avoir tenté de le faire fructifier, en vain, avec son époux et ses frères…
Le cinéma de Ronit et Shlomi est un cinéma de l’excès, à l’image du jeu très particulier de Ronit – la Callas et la Magnani réunies, incarnation théâtrale et opératique de la femme séfarade, Méditerranéenne exaspérée, à bout de nerfs et à fleur de peau, figure mythique qui vit dans l’exhibition permanente de ses émotions. Le cinéma des deux Elkabetz, imposant, outré, viscéral, mais aussi sous influence évidemment cassavetienne, représente un territoire tout à fait particulier et singulier dans la mosaïque du cinéma israélien en pleine ascension.
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