Variations sensibles autour de la mort d’un nouveau-né et du deuil impossible qui s’ensuit. Une merveille visuelle doublée d’une plongée en eaux sombres d’une grande humanité.
Dans Les Secrets des autres, le style de Patrick Wang se fait plus sûr, affichant autant de candeur et de force tranquille en une heure quarante que dans les deux heures quarante-neuf d’In the Family, son premier et précédent film.
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Un talent désarmant de naturel sur un pitch bateau de film indé US (adapté d’un roman de Leah Hager Cohen) pour stars démaquillées et déballage hystérique. Ou comment le deuil tu et encore béant d’un nouveau-né (la peine du titre anglais, The Grief of Others) éparpille une famille moyenne (les époux John et Ricky, leur fils ado obèse Paul et sa jeune sœur sauvageonne Biscuit). Jess, la fille issue d’un précédent mariage de John, débarque chez eux et, comme le spectateur, ressent le poids du silence, impuissante et pleine d’empathie.
Beau contraste entre le non-dit et la transparence du film
Wang reste d’une rigueur zen exemplaire dans son amour pour la caméra toujours idéalement placée, le plan fixe qui laisse les personnages s’épanouir (casting excellent sur tous les registres, de la sensibilité à l’humour discret) au lieu de s’épuiser, dénouer et tresser leurs liens au fil de micropéripéties où un achat de dessous féminins est mis sur le même plan qu’une réunion de famille.
Il y a un beau contraste entre le non-dit qui ronge et la transparence du film sur les intentions des personnages et du cinéaste : “Suis-je une bonne personne ?”, demande Ricky – “Je veux aider”, dit Jess. Wang montre aussi ses propres ficelles : un défunt laisse ainsi comme héritage une collection d’intriguants dioramas symboliques, bricolés à partir d’objets de tous les jours.
Wang croit au mystère, au hors-champ, à l’invisible
Le plus remarquable figure une scène de prestidigitation (le numéro de la fille coupée en deux dans une caisse), avec comme public des cartes à jouer et une clé en guise de scie. Au-delà du sens (le droit des femmes à disposer de leur corps est largement discuté dans le scénario), du manifeste esthétique (sa beauté “brute de récup” résonne avec celle, granuleuse, toute en 16 mm, de l’image) et malicieux (“il y a un manque d’ambition commerciale”), le diorama est une miniature du film.
Une scène où les personnages sont rétrécis par l’épreuve (entre autres, être un souffre-douleur à l’écran, douter de son conjoint), le cadre, mais où le regard n’est jamais inquisiteur – on se penche dessus comme sur un berceau. Une vue en plongée sur Jess et Biscuit chuchotant au lit dans le noir donne plutôt envie de les étreindre.
Même en posant cartes sur table, on reste dans la magie. Wang, venu du théâtre, croit au mystère, au hors-champ, à l’invisible (surtout avec un budget minuscule). On y discute de la beauté d’un diorama, et on le montre ensuite.
Les « secrets » du titre français saignent de l’image
La magie, c’est aussi forcément l’enchantement de visu : un filtre rosé pour des plans subjectifs très courts, déchirants quand on comprend qui regarde ; une utilisation osée, jamais kitsch, du flash-back en surimpression. Les scènes et les voix off du passé se superposent au présent, revisitent des lieux (un vestibule anodin, cadre passé d’une dispute déterminante), révélant les angles morts de ces existences fragmentaires, forcément survolées, mais dont on devine la vie intérieure bouillonnante.
La technique mime la littérature et culmine en une bouleversante séquence finale (préparez vos mouchoirs), où gratter sous la peinture du présent ne découvre plus le souvenir mais bien une lueur d’espoir. Un petit miracle de film, où les “secrets” du titre français saignent de l’image, absorbés par la pellicule tel un Saint-Suaire.
Wang sonde les blessures intimes mais n’oublie pas de les panser avec la même délicatesse. Lors d’une antique polémique cinéastes/critiques, Luc Besson avait été moqué lorsqu’il disait que les films étaient des “objets gentils”. Les Secrets des autres est quant à lui vraiment bienveillant.
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