Quand le quotidien de migrants clandestins se couple à l’éclosion d’un regard de cinéaste.
Sur les hauteurs du mont Gourougou, dissimulés par les frondaisons des arbres, vivent des milliers d’hommes, Maliens, Ivoiriens, loin de leur patrie, immobiles le jour mais toujours en chemin. La nuit, des groupes se forment pour partir à l’assaut de barrières intensément surveillées, souvent au péril de leur vie. De leur côté, c’est le Maroc ; de l’autre, l’enclave espagnole de Melilla, fragment d’Europe fantasmée en terre d’Afrique.
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Pour partir à la rencontre de ces migrants à la route suspendue, les Allemands Moritz Siebert et Estephan Wagner ont choisi de confier une petite caméra DV à Abou Bakar Sidibé, “sauteur” à l’énergie contagieuse, pour qu’il témoigne de la vie quotidienne de cette communauté de fortune, de ses espoirs comme de ses peurs.
Tout film de migration est un film de mouvement, tantôt contraint, tantôt réprimé, et d’espace, parfois fantasmé, souvent délimité. Entrelaçant les géographies humaines et spatiales, Les Sauteurs épouse l’inertie de ces hommes qui reviennent inlassablement butter contre le mur et les forces de police comme des vagues sur les rochers. Captées par les yeux pénétrants et sans âme des caméras de fortune, leurs processions forment dans la nuit des lignes abstraites qui strient l’espace perpendiculairement à celle des grilles, conférant à la migration la puissance inéluctable d’une loi géométrique.
Travailler le réel à la source
Mais derrière la froideur des territoires et des chiffres se cachent des âmes brûlantes, jusqu’ici rarement dévoilées avec une telle acuité. Artisan néophyte mais surdoué d’un cinéma passe-murailles, le réalisateur en herbe plonge dans les méandres de la vie du camp, scrutant les gestes et occupations de chacun, valsant au gré des mots et des chants, tremblant au passage d’un hélicoptère et s’enivrant d’un match de foot improvisé.
Si cette place de filmeur-filmé condamne le film à un dispositif formel parfois précaire, qu’une voix off surécrite vient inutilement alourdir, elle permet néanmoins de travailler le réel le plus brut et le plus essentiel à sa source, et de favoriser l’émouvante et salutaire éclosion d’un regard dans l’obscurité.
Les Sauteurs d’Abou Bakar Sidibé (P.-B., Dan., 2016, 1 h 22)
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