Les îles Sanguinaires, au large d’Ajaccio, à quelques minutes de l’an 2000. Tournant le dos aux festivités conventionnelles et bruyantes, une poignée d’amis se sont réfugiés là pour ne plus entendre que le bruit de la mer et les cris des mouettes… Laurent Cantet tourne l’épisode français de la série L’An 2000, vu par…, coproduite […]
Les îles Sanguinaires, au large d’Ajaccio, à quelques minutes de l’an 2000. Tournant le dos aux festivités conventionnelles et bruyantes, une poignée d’amis se sont réfugiés là pour ne plus entendre que le bruit de la mer et les cris des mouettes… Laurent Cantet tourne l’épisode français de la série L’An 2000, vu par…, coproduite par Arte et Haut Et Court. L’opus taïwanais sera filmé par Tsai Ming-liang (Vive l’amour !), l’allemand par Romuald Karmakar (Der Totmacher), le hongrois par Ildiko Enyedi (Mon xxe siècle), pour un total de huit films d’une heure chacun, diffusés sur Arte fin 98. Le cahier des charges est le même pour tous les cinéastes : chacun
doit représenter le passage vers le nouveau millénaire en incluant dans son histoire le 31 décembre 1999 à minuit.
Laurent Cantet tourne ici son premier long métrage, mais ses courts, Tous à la manif (1994) et Jeux de plage (1995), ont connu un retentissement digne d’un long. Dans Jeux de plage, sorti en salles l’an dernier, un père ne pouvait s’empêcher de suivre et de mater son fils se baignant avec des amis. Un film dur, cruel et spécialement jouissif. Et si l’on s’en souvient ici, c’est que ce garçon pasolinien cristallisant les passions adultes reprend corps dans Les Sanguinaires, sous les traits du même acteur, l’évident Jalil Lespert. Il est Bruno, le gardien du phare de ces îles granitiques. A part un très beau phare blanc, l’îlot principal n’abrite qu’une sorte de cabane qui a dû être agrandie pour le tournage. L’équipe prend le bateau aux aurores pour rallier le site. Là, aucun confort : pour les acteurs, la réalité rejoint la fiction. Il faut donc crapahuter un bon moment avant d’arriver à la bicoque sur les hauteurs. Les mouettes, très sauvages, pondent leurs œufs en toute tranquillité et l’intrusion de ces Parisiens ne leur convient pas du tout. C’est donc à ses risques et périls que le visiteur fera le tour de l’île, sachant que les féroces oiseaux n’hésitent pas à attaquer sous prétexte de protéger leur progéniture.
Mais pourquoi donc les protagonistes ont-ils choisi un endroit aussi isolé ? Pour transformer ce réveillon en non-événement, certes. Mais cette tranquillité rêvée va peu à peu se transformer en piège, et François, le responsable, ne va pas tarder à péter les plombs… François, c’est Frédéric Pierrot, l’acteur le plus connu du casting. De Ken Loach (Land and freedom) à Jean-Luc Godard (For ever Mozart), en passant par Emmanuelle Cuau (Circuit Carole), il a tourné quelques beaux films et a fini par dépasser son handicap de départ : une voix trop proche de celle de Gérard Depardieu. En vrai pro, il ne sort jamais au grand jour sans une moustiquaire enrubannée autour du visage qui le fait ressembler à l’homme invisible. Il ne faut pas qu’il bronze, car les scènes étant tournées dans le désordre, il ne serait plus « raccord ». Après les prises de vue d’une scène d’intérieur tournée dans environ 10 m2, on installe la caméra près du ponton pour une scène de nuit. Les projecteurs s’allument, l’ambiance est irréelle. Un peu de tension pour Aurélia Doudeau, l’une des « jeunes » de la bande. Sachant que c’est son dernier jour de tournage, elle ne peut retenir ses larmes. Laurent Cantet la console. Demain, il l’appellera pour savoir comment elle a réintégré sa vie parisienne. A vrai dire, personne n’a envie de quitter le tournage. A force de jouer les vacances, tout le monde s’est pris au jeu, et une véritable cellule s’est reconstituée ici. Le film est d’ailleurs pour beaucoup une histoire de famille. Laurent Cantet fait partie de l’écurie Sérénade (productrice d’Intimité de Dominik Moll ou du Cri de Tarzan de Thomas Bardinet), et ses amis l’ont rejoint : ainsi Gilles Marchand (également coscénariste et acteur) et Dominik Moll l’assistent dans la réalisation.
Une même scène se répète un peu trop : visiblement, Laurent bloque. Caroline Benjo et Carole Scotta, les productrices, sortent alors de leur réserve et viennent discuter avec le réalisateur. Il est maintenant tard dans la nuit. Est-ce qu’on essaie encore de boucler la scène ce soir, ou est-ce qu’on la retourne demain ? Toute l’équipe est d’accord pour essayer encore. C’est la bonne. La traversée retour va donc avoir lieu de nuit. Enroulés dans des couvertures, acteurs et techniciens se rapprochent pour se réchauffer. A l’hôtel, une fête se prépare pour le départ de certains des acteurs. Tout le monde y va. Comme quoi, le scénario des Sanguinaires, c’est bien du cinéma.
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