Une promesse de partouze détournée par la mélancolie. Un premier film exalté, lyrique et furieusement sentimental.
La sortie des Rencontres d’après minuit, premier film sidéral, découvert à Cannes cette année, a quelque chose de l’apparition d’une planète inconnue. En appelant à lui une mémoire poétique des images faite d’objets extrêmement dissonants, l’art de Yann Gonzalez fait éclore une forme neuve de grâce. Ce cinéma, prodigieusement capable d’accorder la tendresse et la grivoiserie dans un même geste poétique d’une cinglante évidence, évoque Saturne : un jaillissement cosmique bleuté, entouré d’une multitude de fantômes, du Breakfast Club à João César Monteiro en passant par Albator.
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Cela commence comme une orgie : deux amants presque spectraux et leur gouvernante attendent quatre invités (l’Adolescent, la Chienne, la Star, l’Etalon) pour une bacchanale dont on pressent déjà qu’elle sera plus mélancolique que réellement dépravée. Au fil de leurs échanges s’organise une série d’invocations qui déverrouillent le huis clos pour projeter tour à tour vers le souvenir des uns, le rêve des autres et les marier ensemble dans un vibrant unisson.
Il y a deux films dans Les Rencontres… Le premier est faussement léger : c’est une comédie de moeurs, une farce buñuelienne noire et perçante qui profite des puissants contrastes de ton, de corps, de voix, pour installer un rire dur, moqueur. Nicolas Maury, en gouvernante fantasque et autoritaire, en orchestre toutes les fausses notes, les effets de stridence : l’effronterie de petite peste de Julie Brémond face à la blancheur tragique de Fabienne Babe, comme la candeur infantile d’Eric Cantona piégée dans son corps de taureau. Le second est grave et mélancolique. A l’inverse, c’est une fable, une romance arthurienne, immortelle, qui rapatrie les amants Ali (Kate Moran) et Matthias (Niels Schneider) dans un souvenir féodal minimaliste, où un pacte occulte ramène Matthias à la vie en échange d’une éternité de plaisirs charnels.
Entre ces deux registres en perpétuelle collision se noue une frappante harmonie : une réconciliation cosmique de l’érotisme le plus trivial et de la rêverie la plus fragile, qui n’est pas étrangère au liant enchanteur formé par la musique de M83 (Anthony Gonzalez, frère du réalisateur). Dans la truculence comme dans la mélancolie, Les Rencontres… est hanté par la même morbidité : une obsession à faire s’entrechoquer la mort et le sexe, ainsi qu’à ralentir, inverser, compresser le vieillissement comme une matière mouvante – des “enfants qui dirigent le royaume des morts” au rêve pestilentiel de la Chienne, cauchemar carrollien qui la précipite vers la mort autant que vers la naissance, en s’achevant au sein de la mère, la peau putréfiée.
Yann Gonzalez invente une harmonie de la dureté, une esthétique saillante, géométrique, qui sculpte autant les êtres que les espaces : ces sept corps sont des polygones, des blocs durs à la chair anguleuse. Frappé par un envoûtement grandissant, le film semble peu à peu s’y dissoudre et diluer ces statues dans l’aube neigeuse qui vient les reprendre à la nuit. Cinéma nocturne, il s’évanouit à la venue du jour et emporte avec lui la clé de son énigme. Ne survit alors, dans un plan final désert et magnifique, que son insolente majesté.
Théo Ribeton
Les Rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez, avec Niels Schneider, Kate Moran, Nicolas Maury, Eric Cantona (Fr., 2013, 1 h 32)
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