Un premier film aux influences multiples qui plonge dans les bas-fonds de l’Italie des années 1960 et augure un réel talent de cinéaste. A redécouvrir dans une magnifique version restaurée.
“La commare secca » ( l’équivalent de la « grande faucheuse » en français ) est le tout premier long métrage réalisé par Bernardo Bertolucci (BB) en 1961 alors qu’il n’a que 20 ans. Le sujet a été écrit par Pier Paolo Pasolini (PPP), dont Bertolucci a été l’assistant sur Accattone, le premier film de l’écrivain et poète, et le scénario a été coécrit par BB et Sergio Citti, le frère de Franco Citti, interprète principal du film de PPP. C’était la partie Wikipédia ou Cinéma de minuit de cet article.
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https://youtu.be/rhqXp_meBIQ
Venons-en au film : La Commare secca raconte l’histoire d’une enquête policière. Une prostituée a été retrouvée assassinée dans un terrain vague. La police (qui reste hors-champ du début à la fin) enquête et interroge des témoins présents ce soir-là dans le parc Paoloni, où l’on a aperçu la victime pour la dernière fois. Le film, tel Rashômon d’Akira Kurosawa ou Le Bruit et la Fureur de William Faulkner, décrit donc la même soirée de différents points de vue. Défilent dans le bureau de l’inspecteur aux murs nus, presque abstraits, un délinquant, un proxénète, un militaire en permission et dragueur raté, et un jeune homme qui a volé le briquet en or d’un homosexuel pour pouvoir payer un bon repas à sa copine.
Les ressemblances avec l’univers de Pasolini sont évidentes. Bertolucci filme les mêmes faubourgs de banlieue romaine, les barres de HLM aux extrêmes limites de la ville, peuplées de jeunes gens pauvres, au visage d’ange mais capables de devenir des démons à la moindre occasion, à la moindre tentation, pour se sortir de leur misère sociale, ne serait-ce que l’espace d’une journée.
L’enquête policière n’est que prétexte à décrire une société qui abandonne une partie de sa population, la plus miséreuse, socialement mais aussi sexuellement, aux abords de la cité et du boom économique italien des années 1960. Loin du bonheur aseptisé, climatisé, certes, que propose la société de consommation, mais loin aussi de tout progrès intellectuel ou moral. La musique de variété des années 1960 qu’écoutent les personnages renforce le contraste entre l’univers pauvre décrit et ce qu’on dépeint encore avec naïveté comme la “dolce vita” (cliché sur l’Italie toujours vivace).
Le jeune Bertolucci compose énormément ses plans (également sous influence antonionienne dans sa façon de filmer les architectures, notamment modernes), quasiment comme des tableaux baroques (qui font davantage penser aux films de Visconti) dans un noir et blanc sublime rehaussé par la restauration récente de La Commare secca. Ce tout jeune cinéaste filme aussi, au plus près des visages (dans des extrêmes gros plans pas du tout à la mode à l’époque), la pauvreté, le malheur, l’irruption soudaine de la violence et du crime. Avec une attention accrue, et pour le coup très personnelle, dans la description de la jeunesse, du désir, de la gêne. Un cinéaste important naît sous nos yeux.
Les Recrues (La Commare secca) de Bernardo Bertolucci, (It., 1962, 1 h 33, reprise)
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