Dès son premier film, sorti en France en 1997, Tsai Ming-liang affirmait ses partis pris et déclinait ses obsessions, bref, fondait son système de cinéma.
Tsai Ming-liang est un cinéaste ouvertement systématique. C’est ce qui fait sa force, et aussi sa limite. Il ordonne différents récits faits de temps morts plutôt que de temps pleins. Ici, dès le premier plan (une cabine téléphonique, la pluie, les phares des voitures, deux voleurs qui font un casse), il marque sa singularité parmi les cinéastes asiatiques, très en vogue actuellement. Qu’on s’acharne à mettre tous dans le même sac à mode ethnique alors qu’au contraire, il faudrait tenter de les distinguer. Tsai Ming-liang n’est ni un lyrique, ni un sentimental. Il n’a donc rien à voir avec Wong Kar-wai. Comme ce n’est pas un pur sensualiste non plus, il est également très loin du grand Lin Cheng-shen, même si sa manière de faire se croiser ses personnages l’en rapproche. Et il est tout aussi éloigné de Hou Hsiao-hsien. Lui n’a pas la religion du plan-séquence, du « creusé » en profondeur de l’image et du bloc de temps étiré. Dans cette première séquence de casse, il a par exemple recours à un insert sur la perceuse, et le film pullule de ces détails saisis en gros plan. Ce va-et-vient constant entre l’infiniment grand (le ciel au-dessus de Taipei) et l’infiniment petit (l’insecte que Lee Kang-shen a épinglé à son bureau) marque à la fois la volonté d’embrasser l’univers tout entier, d’édifier une cosmogonie cohérente du désespoir, et d’isoler chaque personnage, réduit à une seule caractéristique, qui le différencie des autres aux yeux du spectateur. Le grand talent de Tsai Ming-liang consiste à glisser ces inserts dans le rythme du film, sans les souligner et sans rompre la fluidité de l’ensemble.
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