Sofia Coppola fait un remake d’un classique de Don Siegel avec Clint Eastwood mais en proposant un point de vue féminin sur une histoire d’homme épinglé dans une ruche d’abeilles désirantes et tueuses. Intrigant et subtil.
Il y a un peu moins de vingt ans, en 1999, le festival de Cannes s’embrasait pour le premier long-métrage d’une jeune cineaste au patronyme déjà très identifié : Sofia Coppola. Elégie aussi cotonneuse que désespérée de la dépression teen, Virgin Suicides, découvert à la Quinzaine des réalisateurs, avait soulevé une émotion unanime et imposé la « fille de », découverte enfant dans les films de son papa, comme une des cinéastes les plus prometteuses du siècle à venir. Depuis Sofia est revenue à Cannes en Competition (Marie-Antoinette), à Un certain regard (The Bling Ring) sans jamais soulever d’enthousiasme aussi unanime. Tièdement applaudi en séance du matin, Les proies, son sixième long-métrage, très attendu, n’a pas non plus réitéré l’embrasement de Virgin suicides. Et pourtant les deux films nouent un passionnant dialogue. Les proies, c’est un peu « Virgins murder ». En vingt ans, les nymphes neurasthéniques ont appris à ne plus simplement retourner contre elles-mêmes la violence du monde, mais à porter des coups à la source. Plutôt tuer que de se pendre. Et parmi ce nouveau gynécée, on retrouve Kirsten Dunst, ex-leadeuse des vierges suicidées, et par qui à nouveau va se propager la violence.
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Le film est adapté du même roman qu’un film très prisé de Don Siegel (Les proies, 1971) dans lequel Clint Eastwood, soldat nordiste blessé durant la guerre de Secession, était recueilli et soigné par les occupantes (profs et élèves) d’un pensionnat de jeunes filles. Le film incarnait un sommet de « male gaze », expression forgée par la critique féministe américaine pour désigner un cinéma fondé sur une perception purement masculine du monde. Le corps à la fois dominant et affaibli, érotisé et supplicié du soldat Clint Eastwood soulevait chez ses hôtes un désir qui leur était jusque là inconnu et les prudes pensionnaires devenaient des ogresses. Le déchaînement du désir féminin était un objet de terreur (et d’un tout petit peu de sarcasme).
Le puritanisme, c’est toute la question du cinéma de Sofia Coppola
Le film de Sofia Coppola inverse le point de vue. La cinéaste filme l’affairement de la petite maisonnée autour du corps intrus (Colin Farrel) comme un long frémissement de gourmandise. Au départ, il y a l’envie de toucher, de froler, de frotter les épidermes (très jolie scène où Nicole Kidman éponge les abdos, le pubis et les cuisses de Colin Farrel en tâchant de contenir sa pamoison). Puis en chemin, la gourmandise mute. Au baiser succède la morsure. Au désir de choyer sa poupée mâle succède l’envie de la démembrer.
Le puritanisme, c’est toute la question du cinéma de Sofia Coppola. De Virgin suicides aux Proies, elle s’intéresse aux désirs empêchés, à la façon dont ils se transforment en violence (contre soi ou les autres). Mais le puritanisme, c’est aussi ce qui définit de façon plus souterraine toute sa manière de cinéaste, sa façon de déplacer la jouissance dans toute autre chose que le corps (les tissus, les lumières, la jolie décoration, et ici en l’occurence un impressionnant travail de clair-obscur à la bougie). Les scènes de sexe sont très vite esquivées, la scène d’amputation ellipsée. Tourner autour (du sujet, de la chose, de ce à quoi tout le monde pense), c’est la forme musicale entêtante du cinéma de Sofia Coppola : celle d’une ritournelle de petite fille angoissée, proférée ici de façon un peu moins suave, un peu plus anxieuse.
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