En attendant la cérémonie de vendredi, retour sur quelques-unes des prises de paroles politiques les plus fortes de l’histoire des César.
A plusieurs reprises, les César se sont faits la chambre d’échos d’éclats de voix soucieuses de souffler sur la scène – du théâtre du Châtelet hier, de la salle Pleyel aujourd’hui – un peu d’air brûlant d’actualité. Cette année, rarement une cérémonie aura suscité autant d’attente. Celle-ci ne se situe pas tellement du côté d’un palmarès que l’on devine sans trop de peine (triomphe pour Les Misérables, récompenses pour Portrait de la jeune fille en feu mais les imprévus sont permis) mais de celui de la cérémonie en tant qu’événement. Après le témoignage d’Adèle Haenel en novembre dernier suivi de celui de Valentine Monnier (première française à accuser Roman Polanski de viol), après le boycott par des groupes féministes du film de ce dernier (boycott que certain·es appellent à réitérer vendredi soir), le cinéma français, deux ans post Weinstein, semble engagé dans une remise en question profonde.
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A cette brèche enfin ouverte s’ajoute une crise, celle de tout un système de gouvernance incarné par Alain Terzian, pilote en solo depuis 2003 d’une Académie jugée sclérosée. L’éviction incompréhensible de la cinéaste Claire Denis et de l’écrivaine Virginie Despentes au dîner des espoirs qui a eu lieu le 13 janvier dernier aura mis le feu aux poudres, déclenchant immédiatement une riposte de la SRF et l’effarement de toute une partie de la profession. Un mois plus tard, la direction des César annonçait sa démission collective. La révolte aura eu gain de cause. A l’heure où les cris de la rue, eux, ne cessent de s’élever contre un gouvernement toujours sourd, le cinéma aura prouvé qu’il pouvait être ce monde qui s’accorde à nos désirs. Reste à savoir si la cérémonie de vendredi aura la hauteur politique escomptée. En attendant, retour sur quelques prises de paroles politiques les plus marquantes de l’histoire des César.
Isabelle Adjani, meilleure actrice pour Camille Claudel, 1989
La séquence est devenue un véritable hit des César probablement parce qu’elle est encore à ce jour la plus juste illustration de ce que peut être une prise de parole politique qui n’est motivée que par une chose : faire entendre publiquement une réalité et non pas se plier à l’exercice, parfois bien plus convenu que subversif. En 1989, Isabelle Adjani reçoit le troisième César de sa carrière (après Possession et L’Été meurtrier) pour Camille Claudel. Dans sa tenue scintillante signée Saint-Laurent, la comédienne au visage marmoréen prévient poliment : ce soir elle ne parlera pas de Camille, au risque de plomber la soirée (cela lui importe peu), mais de « choses tragiques« . En lieu et place des jeux de remerciements, Adjani se contente, avec une forme de détachement qui rend la sentence implacable, de lire un extrait des Versets Sataniques de Salman Rushdie, à l’époque tout juste menacé par une fatwa lancée par l’ayatollah Khomeini, avant de quitter la scène sans un mot de plus.
Agnès Jaoui, César 2004
En 2003, le régime de l’intermittence du spectacle est touché par une renégociation des annexes VIII et X décidé par le MEDEF et trois autres syndicats. En bref, l’accès aux indemnités est modifié : les 507 heures de travail devront désormais être réalisées sur dix mois et non plus sur douze. En février 2004, la mobilisation est encore vive et une centaine d’intermittents du spectacle organisent un piquet de grève devant les portes du théâtre du châtelet. A l’intérieur, Agnès Jaoui prend la parole en leur faveur devant une salle debout et un ministre de la culture mouché : « Si vous avez persisté Monsieur Aillagon, à dire que nous vous avons mal lu, vous, vous nous avez mal entendus. Il y a toujours moyen de faire des économies sur la Culture, la Recherche et l’Archéologie. Nous défendons une certaine idée de l’exception culturelle. Vous êtes en train de l’anéantir à coups de lois absurdes […]. J’espère que je ne me suis pas trompée et que je ne me suis pas adressée au Medef. »
Pascale Ferran pour Lady Chatterley, 2007
En 2007, Pascale Ferran triomphe avec son éblouissante adaptation de Lady Chatterley. Au total : cinq récompenses, dont celles du meilleur film et de la meilleure actrice pour Marina Hands. En pleine campagne présidentielle, l’heureuse gagnante de la soirée profite de son sacre pour délivrer un puissant discours sur l’ostracisme qui frappe le cinéma français cadenassé par un système de financement de plus en plus inégalitaire (« des films de plus en plus riches d’un côté, et de l’autre, des films extrêmement pauvres« ) faisant injustement disparaître cette « marque de fabrique de ce que le cinéma français produisait de meilleur » que constitue le cinéma dit « du milieu ». Elle évoque également la menace de capitalisation qui plane sur l’intermittence du spectacle dont le statut n’a cessé d’être abîmé par le MEDEF, se soldant par la création d’un « système où, sous couvert de résorber un déficit, on exclut les plus pauvres pour mieux indemniser les plus riches. » Le geste est d’autant plus fort, qu’au milieu des César, Pascale Ferran et son film (d’une durée de plus de trois heures, tourné sans argent et dont aucune chaîne de télévision ne voulait) sont un peu comme les rescapés (mais aussi les résistants) d’un navire en train de couler.
François Ruffin, meilleur documentaire pour Merci Patron, 2017
C’est avec un tee-shirt « I love Vincent » (Bolloré), que François Ruffin reçoit le césar du meilleur documentaire pour Merci Patron. Le pied de nez qu’il lance au directeur de la chaîne Canal + est savoureux mais l’humeur, elle, n’est pas taquine. Elle est furieuse et grave. Dans un discours vibrant faisant référence à la situation des ouvriers de l’usine de Whirlpool menacés de perdre leur emploi, le pas encore député insoumis dénonce l’inaction du gouvernement face aux nombreuses délocalisations et lance un dernier défi à François Hollande, alors président de la République, pour qu’il démontre enfin « que son adversaire c’est la finance. »
Céline Sciamma, meilleure adaptation pour Ma vie de courgette, 2017
La même année, Céline Sciamma reçoit le prix de la meilleure adaptation pour le beau film de Claude Barras, Ma vie de courgette, l’histoire d’un orphelin recueilli dans un foyer. A l’époque, la France est secouée par les revendications de la Manif pour tous, légitimées par un président compatissant envers cette France « humiliée ». Face à ces manifestations haineuses, les paroles saines de Sciamma sont la plus belle des réponses : « Je crois que les récits qui nous parlent et qui nous touchent individuellement, c’est aussi les récits qui nous manquent collectivement. Et je crois qu’on avait besoin de ce récit d’adoption, de ce récit d’accueil, de ce récit de refuge. Je crois qu’on avait besoin de ce récit qui dit que la famille ça s’invente, ça se recompose, ça se choisit.«
Alice Diop et Maïmouna Doucouré, meilleur court métrage ex aequo pour Maman(s) et Vers la tendresse, 2017
D’autres regards pour d’autres récits, c’est le même crédo du côté de deux jeunes cinéastes noires, récompensées ex aequo dans la catégorie meilleur court métrage. Le premier César revient à Maïmouna Doucouré pour son film Maman(s). Dans un émouvant discours, la cinéaste se remémore les paroles de sa mère quand elle lui annonça son désir de faire du cinéma : »C’est pas pour nous, est-ce que tu vois des gens qui te ressemblent?« . Cette récompense ne pouvait en être que la plus belle négation. Le second est remis à Alice Diop et son film Vers la tendresse, qui dédie son prix à Théo Luhaka, à Adama Traoré, à Bouna et Zyed, à Lamine Dieng, à Amine Bentounsi et à Wissam, tous victimes de violences policières.
Jeanne Balibar, meilleure actrice pour Barbara, 2018
Première fois, première victoire. Jamais nommée dans la catégorie meilleure actrice, Jeanne Balibar décroche le prix en 2018 pour son envoûtante évocation de Barbara de Mathieu Amalric. La victoire est donc triomphale et vient réparer l’injustice de cette longue éviction. Elle donne surtout l’occasion à Balibar de faire à nouveau preuve de ses talents d’interprète. Ses mots roulent comme ceux d’un texte parfaitement ingéré (mais on est prêt à parier qu’il est en grande partie improvisé). Dans cet exercice périlleux et virtuose, Balibar lance un appel à la sororité et déclare son amour pour les actrices, ces concurrentes toutes unies pour combattre « l’indéfinissable… c’est un mot de Barbara. »
Blanche Gardin remettante du César du Meilleur Espoir Féminin, 2018
https://www.youtube.com/watch?v=HDeyB9Gp2F0
C’est arborant fièrement un badge à l’effigie de son mentor Louis C.K, à l’époque accusé de s’être masturbé devant des actrices, que Blanche Gardin évoquait en 2018 l’affaire Metoo, seulement quelques mois après les nombreux témoignages d’agressions sexuelles et de viols visant le puissant producteur Harvey Weinstein. Avec une ingénieuse et irrésistible ironie, Blanche Gardin s’interrogeait alors sur les conséquences de l’affaire quant à l’obtention future des rôles qui dorénavant ne pourront plus se gagner dans les lits des producteurs mais seront assujettis à l’apprentissage d’un texte. Une vanne qui ne fit pas tellement sourire l’actrice Garance Mariller, mais qu’il fallait bien évidemment entendre au millième degré. Sans doute, que son intervention aux Molière en 2017 sur la différence entre l’homme et l’artiste aurait davantage séduit la comédienne de Grave.
Le sacre de 120 battements par minute, 2018
Cette même année, le sacre (six César) amplement justifié de 120 battements par minutes de Robin Campillo aura offert quelques saisissantes élocutions. D’abord celle, en début de soirée, du cinéaste livrant un éclatant réquisitoire en faveur des migrants, des toxicomanes et des travailleur·ses du sexe et rappelant que le slogan silence=mort d’Act Up était encore et tristement actuel. D’autres interventions viendront conforter les paroles du cinéaste, comme celle tout aussi pertinente de Nahuel Perez Biscayart recevant le César du meilleur espoir masculin évoquant l’Argentine, son pays natal, où l’avortement est encore illégal. Enfin, c’est sur la voix tremblante de la productrice du film Marie-Ange Luciani rappelant l’importance des luttes et d’une lutte pour la vie « perçue à l’époque comme une menace » que se referma la cérémonie.
Michel Barthélémy, meilleur décor pour Les frères Sisters, 2019
https://www.youtube.com/watch?v=9w_nHzSBPb0
L’an passé, contre toute attente, Jusqu’à la garde décrochait la première place sur le podium des victoires devant Le Grand Bain que l’on croyait imbattable (sur les neuf nominations, il n’en reçut qu’une, la plus juste, celle du meilleur second rôle pour le génial Philippe Katerine). Lors des remerciements, Xavier Legrand et son actrice Léa Drucker ne manquèrent pas de partager leurs prix avec les victimes de féminicides. Outre ces hommages, le discours le plus éloquent de la soirée se trouvait du côté du western de Jacques Audiard, Les Frères Sisters, et de son chef décorateur Michel Barthélémy louant la force de l’équipe et la richesse du mot culture.
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