Reprise d’un bijou de l’épouvante, où prolifèrent des lilliputiens criminels sous hypnose.
Longtemps connue à travers le seul – et magistral – Freaks, l’œuvre de Tod Browning commence à émerger de la brume, au gré de judicieuses ressorties. Les Poupées du diable s’ouvre précisément sur la brume, bientôt percée par le rayon aveuglant d’une lampe braquée vers le spectateur. Trouvant un écho inattendu dans la sortie du livre de Raymond Bellour, Le Corps du cinéma – dont la thèse est, en substance, que le cinéma, par ses modalités de projection, de mise en scène et de récit, entretient des rapports étroits avec l’hypnose –, ces plans abstraits révèlent la portée hypnotique et libératrice du cinéma selon Browning.
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Contre cet écran de fumée, dont on découvrira qu’il est une arme d’asservissement (“de cette brume sortira une humanité neuve !”, s’époumone le Mabuse de pacotille), capable de réduire à l’état de jouet miniature et téléguidable n’importe quelle créature terrestre, le cinéma (la lampe braquée sur nous) est là pour démystifier tout en éblouissant, révéler le vrai en usant du faux, radioscoper les passions humaines sans empêcher l’identification aux personnages. Avant-dernier tour de piste de son auteur bientôt ostracisé par les studios (suite à la mort d’Irving Thalberg, son protecteur à la MGM), Les Poupées du diable assume ce programme à merveille. Le scénario (cosigné par le grand Erich von Stroheim) reprend l’idée principale d’un précédent film de Browning, A l’ouest de Zanzibar, dans lequel Lon Chaney (son acteur fétiche, mort en 1930) et Lionel Barrymore, qui tient ici la vedette, se déchiraient autour d’une histoire de vengeance tordue et de paternité inavouable. Mais Browning complexifie l’affaire, en mélangeant les genres et les tons avec une habileté vertigineuse : on passe en un clin d’œil du thriller (l’évasion dans les marais, plus tard l’enquête parisienne) à l’épouvante à la Franju (le laboratoire-chenil des deux savants fêlés), de la science-fiction lilliputienne (ô joie des trucages d’époque) au mélodrame à la Dumas (la vengeance d’un homme emprisonné à tort), sans oublier la thématique camp, par le biais du travestissement de Lionel Barrymore. Dans cet écheveau romanesque, Tod Browning, servi par un expressionnisme asséché de ses effets ostentatoires où ne demeure que la noire sève, fait tournoyer une dernière fois ses motifs habituels (duperie, vengeance, animalité, vol de bijoux, désir entravé), et continue de se poser la même question : comment s’articulent, dans chaque individu, l’humanité et la monstruosité ? Et encore, la même réponse (malgré un happy end rédempteur) : la monstruosité, la vraie, celle du diable tapi sous le masque d’urbanité, finit toujours par l’emporter.
Reprise
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