L’affaire Dupont de Ligonnès inspire à Jean-Christophe Meurisse une farce noire sur une France assoiffée de violence, alternant le jouissif et le stérile.
Deux légistes (incarnés par Fred Tousch et Jonathan Cohen) papotent autour de leur table de dissection, où gît un cadavre ouvert comme une grenouille. Entre deux coups de scalpel et de sécateur de jardin, ils déplorent le voyeurisme morbide du public français : “non mais les gens sont complètement accros à la violence, il n’y a que ça qui marche…” Ironie bourrine de la contradiction texte-image, séduction instantanée de la plus grande star comique du moment, annonce grossièrement méta du programme à venir : Jean-Christophe Meurisse n’a pas son pareil pour introduire un film, installer dans un grand fracas son second degré, son euphorie sanglante, et mettre joyeusement les pieds dans le plat. Mais quel est-il donc, ce plat ?
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Les Pistolets en plastique est moins, comme on a pu le lire, un film sur l’affaire Dupont de Ligonnès qu’un film sur la France dont a accouché cette affaire. Un homme vient de massacrer sa famille : le pays est sur les dents. Entre un danseur de country dénoncé par erreur à l’aéroport comme le coupable en fuite, un duo de mémères enquêtrices amatrices éprises de justice sauvage, et la cavale du véritable meurtrier en Argentine, l’auteur d’Apnée reconstitue un éventail de conséquences de l’horreur, et déploie un continuum de conflits et de violence qu’il filme comme une sorte de partouze nationale. Tout l’hexagone est électrisé par le crime : qu’on s’en indigne, qu’on s’en indiffère, qu’on en soit injustement accusé ou qu’on l’ait soi-même commis, on n’échappera pas à son empire, c’est-à-dire à une sorte de spirale collective de sado-masochisme. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si deux scènes d’interrogatoires empruntent leur récit aux codes du BDSM, avec accents allemands et accessoires en cuir.
True crime
Le crime, ou plutôt le true crime – c’est-à-dire le récit et la religion du crime –, fonctionne comme un accélérateur de pulsions dans lesquelles Meurisse plonge avec une voracité de cartooniste. Il y est entouré, comme toujours, de comédiens possédés par un étrange cocktail à base nitroglycérine (Gaëtan Peau, Charlotte Laemmel et Delphine Baril en tête).
Reste à savoir ce que le film construit sur ces fondements. À l’instar d’Oranges sanguines, Les Pistolets en plastique ne s’offre pas d’autre porte de sortie qu’une force d’aspiration vers le glauque, série de numéros souvent extatiques glissant en pente douce vers un abîme de morbidité. Apnée reste encore son meilleur film parce que tiré vers une échappée, un sentiment libertaire et anarchique. Le programme ici est de regarder encore et toujours mourir un pays de psychopathes. II ne serait pas inintéressant que le prochain film explore plutôt quelques façons de l’habiter.
Les Pistolets en plastique de Jean-Christophe Meurisse avec Laurent Stocker, Delphine Baril, Charlotte Laemmel – en salle le 26 juin
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