Dialogue en solo sur un duo de chefs-d’œuvre, “Falstaff” d’Orson Welles et “Les Oiseaux” d’Alfred Hitchcock, deux films tardifs de deux cinéastes majeurs.
– Donc si j’ai bien suivi, Les Oiseaux, ça parle de sexe, et Falstaff, ça parle de pouvoir ?
– Les Oiseaux, ça ne parle pas beaucoup. Falstaff, ça récite Shakespeare, qui parle beaucoup, de pouvoir et de sexe. Est-ce qu’un film doit parler de quelque chose ?
– Plus le film est vieux et considéré comme un chef-d’œuvre, plus il est “le grand film sur” quelque chose, il y a même les “grands films sur la vie”.
– Alors ces deux-là sont de grands films sur la jeunesse et la filiation, disons-le comme ça. Mais Welles et Hitchcock ont des vues opposées du problème.
– Pourquoi les comparer ?
– Le hasard du calendrier.
– Trop facile, ça n’existe pas. – Alors : le bourbier actuel de la jeunesse et de la filiation ?
– “Une brûlante actualité” ? Journaliste ! Les grands-films-sur devraient en plus nous indiquer comment vivre ? Chien, critique de cinéma !
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Godard, Gus Van Sant : les jeunes vieux ont liquidé l’héritage
– Alors : Hitchcock 1963, Welles 1965, deux films de vieux sur la fin de l’âge d’or et les problèmes d’héritage : ce qu’ils laissent aux jeunes, et aux jeunes cinéastes. Comment léguer un paradis perdu ?
– Tu t’enfonces, historien de mes deux, philosophe de comptoir. La jeunesse, c’est une idée de vieux.
– Laisse les vieux nous en parler.
– Les vieux sont morts. D’autres leur ont succédé, les jeunes vieux, qui ont liquidé l’héritage impossible. Godard a liquidé Hitchcock, en montrant que le vieux ne parlait pas de sexe mais de pouvoir. Gus Van Sant a liquidé Falstaff en tournant un remake, My Own Private Idaho, qui ne parle pas tellement de pouvoir mais plutôt de sexe.
– C’est tout ce que tu as trouvé ? Et la jeunesse brûlante, dans tout ça ?
– Falstaff, c’est le vieux philosophe, corrupteur de la jeunesse. Une sorte de Socrate alcoolique ou de Badiou anarchiste. Et le jeune prince Hal, son disciple, finit par le trahir en décidant d’hériter du pouvoir paternel, de continuer les choses telles qu’elles sont déjà, et elles sont bien pourries.
– Le disciple trahit le maître en choisissant son vieux. Donc il se révolte ? Il choisit la filiation, l’ordre du monde, contre le paradoxe d’un enseignement de la révolte ? Qu’est-ce qu’on peut faire d’un maître qui enseigne qu’il n’y a pas de maîtres ?
– Hériter de la destruction de l’héritage, c’est moins facile que de retrouver la place qui nous est destinée dans l’ordre injuste du monde.
Il n’y a pas d’avenir et il n’y a rien à continuer
– On est bien avancés. Et Hitchcock, c’est aussi un antimaître ?
– Moins nostalgique. Welles l’Américain cherche l’Angleterre de Shakespeare, mais l’Anglais qui est passé au Nouveau Monde sait bien qu’il n’y a même pas de paradis perdu.
– Quand même, Les Oiseaux, ce n’est pas la nature qui se retourne contre l’homme ?
– Sauf que ce n’est pas l’homme, mais une jeune femme.
– Pas un fils, mais une fille ?
– Mieux : une riche héritière, fille à papa, et abandonnée par sa mère.
– Ça sent la psychanalyse.
– Je sais pas, il n’y a pas de secret de famille dans Les Oiseaux, il y a la force dévastatrice, à effets spéciaux et son electro, qui attaque quand l’amour fait irruption dans le petit paradis de Bodega Bay…
– Quand l’innocence débarque dans un monde fautif, quand le nouveau vient liquider les héritages ? Il y a cette résistance de la mère de l’homme qu’elle aime…
– Melanie Daniels (Tippi Hedren) ne peut ni accepter ni refuser l’héritage, mais elle est décidée à aimer. Seule la fuite finale est une possibilité, incertaine mais réelle.
– Il n’y a pas d’avenir et il n’y a rien à continuer : ni le pouvoir, ni le sexe.
– La jeunesse, ni perdue ni retrouvée. Donc on se tire de là ?
– On se tire, mais comme disent les jeunes, “on est là”. Ça te parle ?
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