Une 58ème édition de la Mostra de Venise très décevante du côté des compétitions, beaucoup plus passionnante du côté des Nuovi Territori, avec les Gianikian, Jan Cvitkovic, un cinéaste slovène inconnu, ainsi qu’Oliveira, Chahine, Carpenter qui sauvent la mise.
Après une semaine de Mostra, la morosité est au rendez-vous, tant les deux compétitions étaient dépourvues de films forts. Le résultat est qu’on passait de salle en salle de plus en plus vite, d’une habituelle atrocité autrichienne (Hundstage de Ulrich Seidl) à une crétinerie américaine (Waking life de Richard Linklater, un mauvais Hal Hartley transformé en film d’animation), aux pochades, mexicaine (Y tu mamá también de Alfonso Cuarón), indienne (Monsoon Wedding de Mira Nair), hongkongaise (Hollywood, Hong Kong de Fruit Chan, cinéaste en chute libre depuis le joli Made in Hong Kong) ou coréenne (Adress Unknown de Kim Ki-Duk, très décevant après L’Ile). Quant à Larry Clark (Bully), il porte un regard très désagréable sur des gens très désagréables (des ados hébétés et criminels), et confond sa propre pulsion de vieux voyeur avec ses cours de morale à trois francs.
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Si on ajoute que João Botelho (Quem és tu ?) n’est pas en grande forme, que le film iranien est très banal (Secret Ballott de Babak Payami, dont on avait pourtant adoré One more day jamais sorti en France) et le premier des films italiens d’un charme faisandé et finalement fort convenu (Luce dei miei occhi de Giuseppe Piccioni), la conclusion s’impose d’elle-même : cette compétition est d’une insigne faiblesse, en attendant Garrel et Walter Salles, derniers vrais espoirs de sursaut.
Mais le plus triste restait à venir. Attendu comme le messie, l’immense Jacques Rozier a lui aussi déçu avec Fifi Martingale (Cinéma du présent). Même s’il faudra revoir ce film, tant Rozier est un cinéaste majeur depuis Adieu Philippine, il procure une impression de piétinement laborieux, seulement sauvé par quelques trop rares éclats et quelques belles apparitions d’acteurs (Afonso, Rego). Comme si Rozier n’avait pas su trouver le rythme de sa fantaisie et ne s’était pas ménagé suffisamment d’échappées hors de ses péripéties théâtreuses.
En revanche, on n’attendait pas grand chose du premier film de Zhu Wen, auteur du scénario du laborieux Dix-sept ans de Zhang Yuan découvert ici il y a deux ans. Pourtant Seafood, l’histoire d’une pute bien décidée à se suicider, d’un flic obsédé sexuel et d’une flopée de crustacés dans les hôtels de luxe d’une ville de mer enneigée et déserte, autrefois lieu de villégiature préféré des dignitaires du régime, dégage une étrangeté malsaine qui éveille la curiosité.
La section Nuovi Territori rendait avec succès hommage à Jean-Claude Rousseau, et nous a permis de retrouver nos vieilles connaissances Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, les meilleurs cinéastes italiens. Images d’Orient-Tourisme vandale scrute des images d’archives (le voyage en Inde de dignitaires fascistes, dans les années 20) pour éclairer les fondements de notre violence contemporaine. Aux discrètes silhouettes indiennes répondent les poses victorieuses des premiers touristes, qui viennent ici pour apprendre comment les Anglais tiennent le pays. Et chaque geste, chaque regard, analysé image par image par la caméra des Gianikian, contient sa part d’oppression et de trouble : l’ordre règne, le spectacle folklorique continue, les enfants meurent. S’ils n’ont jamais aussi fortement exprimé leur colère éthique, les Gianikian restent des plasticiens hors pairs, et leur film contient les plus beaux plans de cette Mostra.
Autre sommet de Nuovi Territori, Mario Schifano : tutto de Luca Ronchi. Schifano, mort il y a quelques années, fut l’un des plus importants peintres contemporains italiens. On découvre aujourd’hui que ce fut aussi un incroyable cinéaste, d’une vitalité débordante, d’une créativité hallucinée, rarement rencontrée dans le cinéma italien des trente dernières années. Luca Ronchi a effectué une mise en catalogue de toute l’archive vidéo de Schifano pour en tirer ce montage chronologique ébouriffant où l’on croise Mick Jagger et Marianne Faithfull, Moravia et le Pop Art, la télé et les nouvelles technologies, son fils Mario et ses femmes encore envoûtées.
De ce premier film slovène de 68 minutes, Pain et lait de Jan Cvitkovic, on n’attendait rien (cinéaste totalement inconnu au bataillon) et il s’est révélé infiniment plus prenant, car bâti sur un véritable point de vue de cinéma, que les uvrettes routinières des pointures’ établies. En noir et blanc et sans fioritures, c’est l’histoire d’un homme qui sort de l’hôpital, se remet à vivre comme il peut, et s’aperçoit du poids de désastre qui l’enserre. pre et simple, une denrée rare sur la lagune.
Parmi les films présentés hors-compétition, Manoel de Oliveira (Porto de mon enfance), Youssef Chahine (Silence on tourne) et John Carpenter (Ghosts of Mars) n’ont eu aucune difficulté à faire la différence. Le premier parce qu’il invente toujours, au risque de l’inégal et du sublime, et même sur un matériau autobiographique qui pousserait n’importe qui d’autre à la complaisance nostalgeuse ; le second parce qu’il est fou à lier, dans sa manière de mélanger la plus grande trivialité et une réflexion de vieux sage sur le vertige de l’ambition, de faire raccorder des éléments aussi hétérogènes que des parasols volants et le dernier soupir d’une vieille femme ; le troisième parce qu’il continue d’enfoncer le même clou obsessionnel (un western sur Mars ?) avec une efficacité et une brutalité qui font frissonner de contentement. Aussi différents soient-ils, leurs films sont empreints d’un même appétit et d’un même plaisir à faire encore et toujours du cinéma, vaille que vaille, coûte que coûte. Cette 58ème Mostra de Venise leur doit beaucoup.
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