La relation trouble entre un fils de fermiers et un orphelin dans une communauté afrikaner pétrie de religion. Un premier film incandescent.
Janno est un adolescent costaud mais timide. Il vit dans la communauté sud-africaine des rudes et très pieux Afrikaners, ces blancs d’origine allemande, hollandaise, anglaise ou française qui parlent l’afrikaans, une langue dérivée du néerlandais. Il appartient à une famille de riches propriétaires terriens taiseux où toutes marques d’affection semblent bannies. Seuls comptent la prière, le travail des champs, les valeurs viriles et la fierté d’être blanc. Or, dans ce milieu peu ouvert, Janno est attiré par un autre garçon, et bien sûr le tait.
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Un soir, on confie à la famille de Janno un autre adolescent, Pieter, un orphelin qui vivait à la rue. La mère de Janno décide de l’adopter, malgré l’opposition de son mari. Pieter est aussi débrouillard et rebelle que Janno est coincé. Janno le jalouse rapidement, tandis que Pieter se plie peu à peu, avec cynisme et hypocrisie, aux règles de la communauté dont il ne respecte en réalité aucune des valeurs.
C’est peut-être là, dans un virage du scénario plutôt déplaisant où l’enfant des rues (plutôt sympathique à nos yeux, comme Janno, d’ailleurs) est un peu chargé et s’avère être une canaille, que le film du réalisateur sud-africain Etienne Kallos gagne pourtant en intérêt. Car le spectateur va très vite comprendre que la communauté dont fait partie Janno, si elle sait parfaitement comment faire fructifier la terre, est elle-même infertile. Sans tout déflorer, disons que la mère de Janno se sent investie d’une mission délirante, dont le dessein est de sauver le sang afrikaner en train de s’épuiser, de se tarir. Tout alors prend sens, dans le contraste entre la semence végétale, créatrice, et la semence humaine, stérile.
Le combat entre l’ange (Janno) et la bête (Pieter) se déroule sur un terrain où plus rien de vivant ne pousse, par absence de sentiments réels, d’amour. C’est là tout l’intérêt des Moissonneurs, présenté en mai dernier à Cannes dans la section “Un certain regard”. Loin de se contenter de raconter l’histoire d’un ado engoncé dans la religion et torturé par une sexualité inacceptable pour son milieu, le film se colore soudain de teintes fantastiques qu’il n’annonçait pas du tout au début. Le premier film de Kallos témoigne d’une belle imagination, fertile, elle, et prometteuse.
Les Moissonneurs d’Etienne Kallos (Afr. du S., Fr., Gr., Pol., 2018, 1 h 44)
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