De Jean Renoir à Wes Anderson, en passant par Harry Potter, Christophe Honoré détaille les principaux rôles d’enfants qui l’ont marqué et constituent un terreau d’inspiration à ses Malheurs de Sophie.
L’enfant truffaldien
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Je pense que dans Les 400 Coups ou L’Enfant sauvage, Truffaut ne se souciait pas d’être compris par des enfants. Contrairement à L’Argent de poche, qui est vraiment pour les enfants – ce qui expliquerait aussi pourquoi il est souvent déconsidéré dans sa filmographie. C’est un film très réussi. Truffaut nous dit : l’enfant n’existe pas, mais il existe des enfants. C’est un film sur une communauté d’enfants, un principe très renoirien, mais aussi très fort chez Truffaut : il doit filmer un bébé qui tombe par une fenêtre, deux petites crapules, une petite fille qui fait un caprice, un garçon tétanisé qui vit seul avec son père malade, etc.
Il multiplie les identités d’enfants, il s’appuie énormément sur ses jeunes acteurs. Ce sont des images qui restent. Finalement, l’enfant qu’il rate un peu, c’est celui qui est maltraité, parce qu’il y a comme une redite des 400 Coups ou de L’Enfant sauvage, mais en moins fort, parce que cet enfant ne peut exister que face aux adultes, et que la force de L’Argent de poche, c’est qu’ils existent sans les adultes.
Les adultes sont traités comme les enfants sont d’habitude traités dans les films d’adultes : ils sont accessoires. Ils sont une ligne de fuite. Je suis d’accord avec l’idée de Truffaut qu’un enfant ne doit pas être mignon ou poétique…”
L’enfant qui grandit
“Harry Potter est un très grand roman. C’est à la fois L’Odyssée d’Homère, A la recherche du temps perdu de Proust et Ulysse de Joyce. L’univers que J. K. Rowling déploie, à partir d’une histoire très étrange (un orphelin prend peu à peu conscience qu’il porte en lui la cause de la mort de ses parents), est insensé. Ce que je trouve réussi dans les films, c’est que les enfants grandissent avec l’acteur principal.
Le film est très loyal de ce point de vue. C’est évidemment un commerce, Harry Potter, il n’empêche que je suis aussi bouleversé par l’évolution de Daniel Radcliffe en Harry que par celle de Jean-Pierre Léaud en Doinel. Pareil pour les autres acteurs, comme Emma Watson. Et puis, il y a une chose très belle : ils sont vulnérables. Harry Potter meurt sans savoir qu’il va revivre après : il doit mourir pour tuer Voldemort qui vit en lui.”
L’enfant et le sexe
“Les Damnés de Luchino Visconti n’est évidemment pas un film sur les enfants, mais cette petite fille est pour moi la première apparition d’un enfant au cinéma. J’étais chez mes grands-parents pendant les vacances d’été, je devais avoir 9 ou10 ans. Je leur avais dit que je voulais voir ce film. Et je me souviens très bien qu’on était assis sur les chaises de la salle à manger (il n’y avait pas de canapé). Mon grand-père, assez taciturne, était là. On a commencé à regarder Les Damnés. Je trouvais ça passionnant, érotiquement très troublant.
Je me demandais à quel moment mes grands-parents allaient me dire : “Ça suffit, tu montes te coucher.” Helmut Berger attire cette petite fille sous la table où il discute avec elle ; il ne fait que discuter. Ensuite, il l’entraîne… Maintenant, adulte, je projette quelque chose de très trouble sur cette relation, bien sûr. Mais, enfant, je me disais : “Elle a de la chance d’avoir un ami adulte.” Je trouvais que c’était le seul adulte qui la considérait, l’image en devient très marquante. Je vois bien comment, aujourd’hui, on la lit de manière très différente.
Mais il y a quand même cette idée, à laquelle je tiens beaucoup parce que j’ai écrit des romans pour la jeunesse, que donner un livre pour enfants à son propre enfant, c’est confier ce dernier à un adulte que l’on ne connaît pas. C’est peut-être le premier moment, en tant qu’enfant, où l’on est confronté à des adultes que l’on ne connaît pas. Ce n’est pas rien.”
L’adulte resté enfant
“A la fin de La Vie aquatique, Cate Blanchett, qui est enceinte, dit : “Dans dix ans, mon fils aura 9 ans et demi.” Je crois que Wes Anderson est le cinéaste de cet âge (sourire). Ses films sont des films d’enfant de 9 ans et demi. Il a déjà compris un tout petit peu le désir, mais n’a pas les moyens de l’assouvir et refuse de les avoir.
Il peut désirer des femmes, mais ne peut leur offrir que ce que propose un enfant de 9 ans et demi : des choses charmantes, mais pas physiques. J’ai été animateur de colo et, selon moi, 9 ans et demi est l’âge idéal pour un garçon, l’âge souverain : vous êtes dans la maîtrise absolue de votre humour, de votre corps, de votre sociabilité, les filles c’est les filles, elles sont à l’écart mais ne vous posent pas de problèmes.
A cet âge vous êtes en CM2, mais en 6e, poum ! tous les problèmes vous tombent dessus, vous êtes déchus de votre place royale. Les films d’Anderson baignent dans cet état impérial. La Vie aquatique est un grand film pour enfants parce qu’ils ne peuvent s’en sentir exclus, il crée une égalité entre adultes et enfants.”
L’enfant qui meurt
“Le Fleuve de Renoir est un film que les enfants peuvent voir. Ce qui est très beau, chez Renoir, c’est que la mort accidentelle du petit garçon, Bogey, est un non-événement, qui advient tard dans le récit. Le véritable enjeu du film est l’Inde.
Même si l’histoire de ces trois gamines qui tombent amoureuses d’un homme qui les regarde à peine est touchante, ça ne fait pas un film. Non, le vrai sujet, le récit de Renoir, c’est l’Inde, qu’il parvient à raconter, à convoquer tout entière dans un jardin. La mort de cet enfant, fruit du hasard, devient une métaphore de la conception indienne du cycle de la vie : la mort de Bogey n’est pas seulement celle d’un enfant, ni de l’enfance, le boa aurait pu tomber sur n’importe qui d’autre.
C’est le film de Renoir que je préfère. Je l’ai revu pendant l’écriture des Malheurs de Sophie ; Bogey est proche de Sophie. Renoir a dans sa manière de filmer les enfants, une attention qui me bouleverse : je le vois faire des grimaces derrière la caméra pour que les jeunes actrices lui tire la langue ! (Rires)
Dans Allemagne année zéro de Rossellini, la mort de l’enfant, Edmund, est aussi une métaphore, mais cette fois-ci pour adulte. Il faut avoir une connaissance historique de ce qu’était l’Allemagne à la fin du nazisme, savoir que le film a été tourné à Berlin par un Italien, pour comprendre ce qu’il est. Il faut être adulte pour comprendre que la mort de cet enfant ne signifie pas qu’un terrible suicide. En tout cas pour nous aujourd’hui. Edmund est sans doute l’enfant le plus maudit de toute l’histoire du cinéma : il se suicide parce qu’on a réussi à lui insuffler la conviction qu’il était l’auteur d’un crime.”
L’enfant rêvé
“Dans Paris, Texas, il y a l’enfant rêvé. J’ai vu le film quand il est sorti, en 1984, j’avais 12 ans. J’écrivais dans la rubrique cinéma du journal de mon lycée et je lui ai consacré ma première ou deuxième critique. Le fils de Travis (Harry Dean Stanton), qui s’appelle Hunter (Hunter Carson), incarnait l’enfant que j’aurais adoré être : il était blond, américain, vivait à Los Angeles, était habillé comme j’aurais aimé l’être… (rires)
Je le trouvais tellement cool, très américain, ce gamin, avec le regard qu’il pose sur son vieux père qui débarque et lui fait un peu honte ; mais il finit quand même par se laisser approcher. La manière dont ils marchent tous les deux sur le trottoir quand son père vient le chercher à l’école continue de me bouleverser.
Ils font un petit pas de danse, le père imitant le fils, ce qui prouve qu’il est bien le père, et c’est le fils qui mène, tout ça me touche. C’est l’enfant qui accorde à son père la possibilité de l’être. J’aimais tout dans ce gamin. Ça ne m’aurait même pas dérangé que ma mère soit pute, comme Nastassja Kinski dans le film (rires). C’est l’enfant idéal.”
L’enfant invulnérable
“Contrairement à Harry Potter, John Mohune, le personnage de l’enfant des Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang, semble invulnérable. Il fréquente des voleurs, des maisons hantées, des cimetières, des fonds de puits, mais on a toujours l’impression que rien ne l’atteint, que rien ne va le briser. Or c’est également la vraie force de Sophie, le personnage créé par la comtesse de Ségur. C’est ce qui fait l’éternité du personnage : Sophie est une pierre qui roule et ne s’arrête jamais. Dans Moonfleet, Mohune, quel que soit son environnement, donne l’impression qu’il n’a pas conscience du danger qui l’entoure. On n’a jamais pitié de lui. Il a été mon modèle pour le personnage de Sophie, dont l’énergie ne faiblit pas. Elle est – comme la petite fille de La Vie de famille de Jacques Doillon, film que j’aime beaucoup – toujours dans la vitalité.”
Lire aussi la critique des Malheurs de Sophie de Christophe Honoré
{"type":"Banniere-Basse"}