La petite websérie astucieuse Kaïra Shopping passée au rouleau compresseur du mauvais cinéma commercial français. Un saccage.
Comédie populaire française versus peuple français, éternel je t’aime moi non plus. Mille fois vérifiée par le passé – chaque semaine ou presque, à vrai dire –, cette sentence trouve en Les Kaïra une nouvelle illustration, d’une rare acuité. Car il y avait là tout pour faire, enfin, une grande comédie sur les “mecs de banlieue”, les kaïra, donc, benoîtement annoncées par le titre. Las.
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Conçue au départ pour le web, puis promue sur l’antenne de Canal+, la série Kaïra Shopping, dont ce film est l’adaptation, se déclinait en vignettes de deux minutes, hilarants instantanés en plan fixe, où trois types en jogging Fila s’épanchaient sans discontinuer sur la galère, les meufs et les pits, avec une verve et une simplicité inédites.
La parole, enjeu des meilleurs “banlieue movies” (Etat des lieux, L’Esquive, Wesh Wesh…), y trouvait un écrin parfait, exemplairement dépouillé et suffisamment frontal pour laisser advenir une vérité écorchée – et poilante.
La première séquence du film, absurde babil kebab en main, laisse espérer une telle direction. Très vite hélas, les impératifs commerciaux reprennent leurs droits : il faut scénariser, multiplier les points de vue, les personnages secondaires, les sous-intrigues, bref étoffer – et finalement étouffer. Franck Gastambide, membre du trio qui s’improvise ici réalisateur, commence par embarquer ses lascars dans une épopée porno (ils veulent faire du X, soit), qui culmine très vite dans une scène de casting menée par l’excellent François Damiens ; c’est la meilleure scène du film et celui-ci ne s’en remettra pas, malgré quelques saillies drolatiques ci et là.
On pourrait s’interroger à l’infini sur notre incapacité à passer du langage TV à la forme cinématographique quand les Américains, eux, sont si souvent parvenus à adapter leurs sketches du Saturday Night Live, mais ce n’est même pas le plus rageant ici.
La plus grande faillite des Kaïra, c’est plutôt son lissage forcené, cet acharnement à effacer toute trace de subversion d’un scénario qui ne demandait pourtant que ça.
Il est frappant de constater comment chaque scène, dès qu’elle semble aborder un sujet un tant soit peu clivant (le contrôle au faciès, la discrimination à l’entrée des boîtes, l’homosexualité refoulée, le machisme des grands frères, la misère sexuelle, etc.), est immédiatement écourtée, stoppée dans son élan par une pirouette qui ne fâchera personne.
Ce culte peureux du consensus achève ainsi de faire rentrer Les Kaïra dans le rang. Triste rang.
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