En plein débat sur le mariage pour tous, un beau récit documentaire de trajets de vie d’hommes et de femmes gays d’âge mûr. Salutaire et poignant.
Ce n’est pas exactement à cette vieille antienne du cinéma que Sébastien Lifshitz semble vouloir répondre dans son dernier documentaire. S’il lui arrive de filmer le vent, les nuages, la nature (toujours avec un aussi grand sens du cadre), la question qui lui importe est moins “Comment montrer ce qui est invisible ?” que “Comment montrer ceux qui sont invisibles ?” Suivant donc la route qu’il s’est tracée de réalisateur français de la cause LGBT (Presque rien, Wild Side…), Lifshitz revient au documentaire plus de dix ans après La Traversée (la recherche d’un père par son fils à travers les USA) en décidant de s’intéresser aux personnes que l’on ne veut pas montrer, des hommes et des femmes homosexuels, nés entre les deux guerres, qui vont devenir les témoins d’une époque.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Occultés par la génération sida des années 80, ceux qui, pour certains, ont amorcé les luttes avec le Fhar (Front homosexuel d’action révolutionnaire) dans les années 70 ou qui ont tout simplement survécu au raz-de-marée du virus, sont aujourd’hui de vieilles personnes, dont on n’entend jamais la parole, victimes qu’ils sont souvent du jeunisme de la communauté.
Six mois après sa projection en sélection officielle à Cannes, Les Invisibles décroche haut la main la palme de la sortie la plus opportune de l’année. Car, à revoir, toujours avec la même émotion, ce film, alors qu’entre-temps la France s’est dotée d’une majorité de gauche à l’Assemblée, les témoignages de lutte se sont déplacés sur le terrain de la politique. En plein débat sur le mariage pour tous, Les Invisibles fait office d’acte salvateur.
Alors que Lifshitz s’attendait à trouver beaucoup de célibataires quand il est parti à la recherche de ces témoins, il est tombé sur de nombreux couples. Certains y parlent des difficultés à vivre leur homosexualité à une époque où l’OMS la considérait comme une maladie mentale et avant que François Mitterrand ne la dépénalise. Dans tous les cas, on sent beaucoup de force et de résistance.
Ces aînés ont peut-être manqué à la génération arrivée dans les années 90, qui a bénéficié des avancées post-68 du Fhar tout en marchant sur le charnier que le sida avait laissé une décennie plus tôt. Comme un film de mémoire, Les Invisibles est donc une oeuvre importante, pas seulement pour la communauté gay. “L’essentiel est invisible pour les yeux”, confessait le renard au Petit Prince. Il venait de lui apprendre à l’apprivoiser. Il ne reste à la société qu’à en faire de même avec l’homosexualité.
{"type":"Banniere-Basse"}