Quatorze ans après un premier volet triomphal, le retour de la famille de superhéros fondue dans l’american way of life ordinaire. Un peu mécanique, mais virtuose.
Pixar a longtemps évité de mettre au centre de ses films des simili-humains, gêné par le rendu trop standardisé (la fameuse “DreamWorks face”, expression stéréotypée des héros d’animation avec rictus difforme et sourcils plissés), trouvant paradoxalement plus naturel de conférer une âme à un cow-boy en plastique ou un poisson-clown.
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Après quelques exceptions, Pixar s’adonne pour de bon au procédé. Six mois après Coco, Les Indestructibles 2 semble bien marquer l’abolition de ce vieil empêchement figuratif. On n’a en effet jamais vu une telle palette de physionomies, de tics, de courbures du visage, de nuances dans la subtilité des regards, d’expressions, et donc évidemment de caractères que dans ce superhero movie aux airs de gros de coup de force.
Un coup de force à deux voix, qui swinguent chacune leur tour : une intrigue branchée sur l’action (la maman, embauchée par un milliardaire pour jouer l’héroïne façon cascadeuse IRL, afin de redonner une bonne image aux superhéros) et une autre branchée sur le domestique (le papa, pendant ce temps, se frottant à l’héroïsme banal de la tenue d’un foyer : le fils galère en maths, la fille en amour, et le bébé découvre de façon anarchique ses innombrables superpouvoirs).
Le résultat a la force et les faiblesses du volet précédent. Il est incroyablement dynamique (les chorégraphies urbaines, aériennes, pyrotechniques d’Elastigirl fichent limite la honte aux partouzes d’action que sont devenus leurs équivalents live chez Marvel), vraiment très drôle (incroyable aparté burlesque entre le bébé et un raton laveur) mais il peine un peu à émouvoir, du moins à émouvoir comme un Pixar en est normalement capable. A l’exception de belles séquences paternelles, qui ont l’élégance de dépeindre un père précisément à la hauteur des événements plutôt que de tomber dans le gag stéréotypé et vieillot du papa incapable d’assurer au foyer, le film ne trouve pas sa vraie corde sensible, sa note poignante.
C’est pourtant loin d’en faire un ratage, d’autant plus que Les Indestructibles 2 semble réfléchir lui-même à la question de sa propre virtuosité, et à s’interroger sur ses limites. Lorsque les prouesses d’Elastigirl prennent des airs de numéros de gala, ironisant sur un spectacle superhéroïque devenu totalement pittoresque et qui s’avérera d’ailleurs plus ou moins escamoté (n’en disons pas trop), on se demande si Brad Bird (déjà réalisateur du premier volet, mais aussi d’un ébouriffant Mission : Impossible) n’est pas en train de nous chuchoter à l’oreille que son génie vire lui-même au numéro de carnaval.
Lui qui vient de recevoir un Cristal d’honneur au festival d’animation d’Annecy a précisé dans son discours de remerciements : “Je ne parle pas français, mais je parle animation.” Magicien incontesté des forces du monde physique, encore un peu coincé sur le seuil des émotions humaines : il n’y a rien de plus émouvant qu’un robot qui lutte pour avoir un cœur, et chez Pixar on est bien placé pour le savoir.
Les Indestructibles 2 de Brad Bird, avec les voix de Craig T. Nelson, Holly Hunter, Sarah Vowell (E.-U., 2018, 1 h 58)
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