En imaginant l’onde de choc émotionnelle que provoque le décès d’une jeune lycéenne pendant une garde à vue, “Les Graines que l’on sème” livre l’un des récits politiques les plus saisissants de ce début d’année.
En l’espace de quatre ans, le lycée Romain-Rolland d’Ivry-sur-Seine est devenu l’un des laboratoires les plus excitant du paysage culturel et politique français. Reconnu pour la ferveur militante de ses élèves (en décembre 2018, on leur doit un tag “Macron démission” qui entraîna le placement en garde en vue de six de ses élèves), le lieu est devenu aussi bien un berceau politique qu’un organe particulièrement vivant du cinéma français.
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Premières solitudes de Claire Simon, Nos Défaites de Jean-Gabriel Périot et désormais Les Graines que l’on sème de Nathan Nicholovitch, voilà trois films nés de la rencontre puis de la collaboration entre un·e cinéaste et une promotion de lycéen·nes en option cinéma de cette commune du Val-de-Marne. Formant, volontairement ou non, une trilogie sur la naissance d’un corps politique, ces trois œuvres qui écoutent et sondent ces corps pris entre la peur, les doutes et la colère, se répondent, prolongent le précédent ouvrage et établissent un portrait saillant de la jeunesse contemporaine.
Pensée politique
En 2018, Premières solitudes, le plus intime des trois tableaux, posait les premières pierres de l’édifice. Construit autour de longs et attentifs dialogues entre dix élèves de première, le film de Claire Simon racontait comment par la reconnaissance de l’autre, son écoute attentive et empathique, se constitue un bloc collectif et solidaire. L’année suivante Nos Défaites de Jean-Gabriel Périot, faisait le diagnostic d’un apolitisme symptomatique d’une génération soudain percé par un événement extérieur qui fait naître la nécessité d’une révolte politique.
Objet simultanément le plus théorique et le plus vibrant de cette trilogie, Les Graines que l’on sème va poursuivre le sillon de ces deux documentaires, tout en empruntant un chemin narratif différent, celui de l’uchronie. Le film prend ainsi pour point de départ un fait réel (le tag “Macron démission” de 2018) qu’il va tordre par la fiction pour mieux sonder le réel. Dans la réalité alternative du film de Nicholovitch, ce ne sont plus six élèves mais une seule, Chiara, 16 ans, qui est placée en garde à vue. L’adolescente ne ressortira jamais de ce commissariat, elle décède quelques heures plus tard dans des circonstances inexpliquées. Construit sur une succession de long discours filmés en temps réel de toute une communauté qui rendent hommage à la défunte, Les Graines que l’on sème va, dès lors, explorer l’onde de choc que provoque cette disparition, puis comment ce raz-de-marée d’injustice va générer et structurer une pensée politique au sein de cette jeunesse.
C’est un film tout entier qui repose sur le chagrin et la colère. Ce que certain·e verront comme une limite du dispositif (le film refuse totalement de livrer son enquête pour expliquer la mort de l’adolescente), nous semble au contraire sédimenter son acuité politique. Car à l’heure où le militantisme de parti et l’héritage politique de la sphère familiale n’existent quasiment plus, comment un combat politique peut-il émerger autrement que par l’indignation ? C’est ce que semble formuler le film de Nicholovitch, comme un avertissement murmuré à l’oreille de son·sa spectateur·trice : N’enterrez pas cette jeunesse. Bien que désenchantée, elle n’est toujours pas sourde à la colère et peut encore, à tout moment, s’embraser.
Les Graines que l’on sème de Nathan Nicholovitch
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