L’acteur-réalisateur recourt à l’autobiographie et déploie un humour ravageur pour réussir un magistral film de genres…sexuels.
Ah, le rire ! Aussi subjectif que le goût ou le désir. Il y a quelque chose d’indiscutable et de pulsionnel dans le rire, qui dépasse la réflexion ou les critères esthétiques.
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On rit ou on ne rit pas. Ainsi, Gérard Oury n’était sans doute pas un grand cinéaste mais Louis de Funès (qui était peut-être le grand cinéaste secret caché derrière Oury) m’a fait hurler de rire toute mon enfance, et encore aujourd’hui. Chaplin, Wilder, Woody, Jim Carrey me font marrer, pas Laurel & Hardy, Blake Edwards, Francis Veber, Omar Sy ni même Tati (lui, c’est autre chose, il m’émerveille).
Tout ça pour dire qu’après la projection cannoise du premier film de Guillaume Gallienne, certains faisaient la fine bouche, estimant que Les Garçons et Guillaume… n’était qu’une pochade, pas du grand cinéma. Peut-être, mais comme la majorité du public de la Quinzaine des réalisateurs, je venais de vivre une heure et demie d’hilarité.
Quand un film me fait rire à ce point, j’en suis tellement reconnaissant au talent et à la générosité de son auteur que ça prime sur tout. Faire rire sans faire honte, faire rire avec et non contre (ou alors, tout contre), c’est sans doute l’art le plus difficile.
Cela dit, je tiens que Les Garçons…, au-delà de sa vis comica, c’est aussi du bon cinéma. Si le style visuel de Gallienne n’est pas novateur, son écriture, son timing et son jeu sont renversants. Il y a du cinéma dans Les Garçons…, mais c’est dans les personnages, les acteurs, le tempo et le rapport à l’autobiographie qu’il faut le chercher (et qu’on le trouve), comme chez Guitry, Allen ou Moretti.
Guillaume, c’est donc cet ado qui vit avec ses grands bourgeois de parents et ses deux frères. Guillaume possède une petite singularité dans son milieu social ultra normé : il a des manières efféminées, aime jouer à la poupée ou se déguiser en impératrice Sissi. Ses frères se moquent de lui, sa mère le couve avec amour et sévérité, le considèrant comme la fille qu’elle n’a pas eue, et tout le monde est persuadé qu’il est homo.
Pas besoin de ressortir son vieux Bergson pour voir se dérouler ici un florilège de tous les types d’humour, du comique de caractère au comique de situation, du trait d’esprit langagier au comique d’action. Guillaume Gallienne rejouant une version fictionnée de sa propre jeunesse, c’est très drôle. Ça l’est d’autant plus que l’acteur s’est dédoublé pour jouer aussi sa maman, avec la même verve. C’est intéressant aussi, puisque l’acteur-scénariste-réalisateur repasse par son passé en adoptant tous les points de vue : le sien, celui de sa mère, celui des autres. Intérieur, extérieur, en soi et sur soi. C’est par le rire et la prise de distance à soi-même que l’on apprend à vivre avec ses blessures et (petits) drames passés.
Sous ses dehors farcesques, Guillaume… est aussi un film politique, sociétal. Sans commettre de spoiler, on peut dire que la grande révélation tardive du film, c’est que malgré sa forte part féminine, Guillaume aime et désire les femmes. Il serait erroné de voir dans ce retournement un triomphe final de la norme. D’abord, parce que la mère est surprise et presque déçue, elle qui s’était tellement habituée à ce que son fils soit comme sa fille. On convoquera Bergson encore : l’inversion est l’un des processus du rire et de sa portée critique (l’enfant qui fait la leçon aux parents, le prévenu qui fait la morale au juge, etc).
En inversant ici le majoritaire et le minoritaire en matière de genre et de sexe, Gallienne fait valser les repères et renvoie les préjugés dans un néant d’où ils n’auraient jamais dû sortir. En faisant rire d’un coming-out hétéro, il tend un miroir subtil et impitoyable à l’homophobie, à son ridicule et à sa bêtise.
Ce qui compte, c’est l’épanouissement de l’individu libre, pas la conformité à ce que les autres attendent de lui, tel semble être le message de cette brillante fantaisie placée sous le double signe de Cocteau (cultive tes défauts) et d’Almodóvar (une des premières séquences se passe en Espagne). Comme le roi de la movida, Gallienne réussit le mariage du rireet de l’émotion, du progressisme et de l’universel, il rapproche la marge du centre en abordant des questions lourdes de façon légère. L’essence d’une vraie comédie populaire.
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