Jacques Audiard, féministe dans la vie, l’est-il autant dans son cinéma ? La question se pose avec ce western sévèrement burné.
Il y a deux semaines, alors qu’il présentait Les Frères Sisters à la Mostra, Jacques Audiard s’est fendu d’une surprenante déclaration pro-parité en matière de festivals. Elle concernait les cinéastes sélectionnés (vingt hommes contre une femme cette année à Venise) mais aussi, chose plus rare, les équipes festivalières, des comités de sélection aux délégués généraux qui sont, pour la quasi-totalité des grands rendez-vous, des hommes. Elle a aussi pu faire grincer quelques dents et notamment les nôtres, à la lumière d’une question qu’on pourrait résumer caricaturalement par : “Une punchline féministe en tribune suffit-elle à racheter un cinéma misogyne ?” Question à laquelle le film, qui a la gentillesse de sortir très peu de temps après l’affaire, offre quelques éléments de réponse.
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Misogyne, le cinéma d’Audiard ? Disons que de ce point de vue, son œuvre est un sacré grand huit, alternant les généreux portraits de femme (Sur mes lèvres, De rouille et d’os) et les égarements ultra burnés (De battre mon cœur s’est arrêté, Un prophète) où se manifeste une obsession pour les gars violents au cœur passionné, et l’idée que les gonzesses aiment bien ça.
Dans ce spectre, Les Frères Sisters trouve une place assez intéressante : le film, adapté d’un roman canadien, suit la traque de prospecteurs d’or (Riz Ahmed et Jake Gyllenhaal) par deux frères tueurs à gages, et aurait bien pu s’appeler Un monde sans femmes, tant son sujet semble se situer là.
Deux tandems, l’un éduqué à tendance bromance homo-érotique (Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed, soit le duo de Night Call à nouveau réuni), l’autre grossier et malade d’une sorte de débordement violent de virilité (Joaquin Phoenix et John C. Reilly, qui est à l’origine de l’adaptation). Ici et là se manifeste la recherche en soi-même d’un raffinement féminin (John C. Reilly s’évertue maladroitement à devenir coquet), ailleurs, on fait étrangement payer à une femme l’outrecuidance de s’être aventurée dans la masculinité (l’étrange personnage de Mayfield).
Surtout, c’est un film sur le refuge de la camaraderie masculine, dans ce qu’il a de réconfortant et aussi d’abstinent : une belle séquence de compagnonnage apaisé au bord d’une rivière en atteste. Bref : Audiard ne méprise pas les femmes, mais peine à les inviter dans son monde, et apprécie plus qu’il ne le croit ce que produit leur absence.
Les Frères Sisters de Jacques Audiard (Fr., 2018, 1 h 57)
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