Les vampires n’ont jamais lassé le cinéma. Mieux, ils ont muté avec les époques et les styles. La preuve tout l’été à la Cinémathèque française en une centaine de films, de Nosferatu à Irma Vep, de Dreyer à Coppola en passant par Maddin et Rollin.
L’été traversé de vampires : avec une centaine de classiques, de séries B et de séries Z, la cinémathèque de Paris propose un voyage dans ce genre plutôt nocturne et hivernal que l’on n’associe pas au soleil, à la plage et aux palmiers. Alors, pour tous les allergiques à la bronzette, à la crème solaire et aux transhumances de masse, rendez-vous dans la pénombre fraîche de la salle des Grands Boulevards pour voyager dans les brumes transylvaniennes en compagnie des pâles et hâves Nosferatu ou Dracula.
Le genre « vampires » est consubstantiel au cinéma. C’est le seul qui a accompagné tout le siècle du septième art sans interruption, contrairement à la comédie musicale, au western ou au péplum. Comme le cinéma, il a évolué, muté, s’est dégradé, a été menacé de mort, pour toujours ressusciter de plus belle. On pourrait presque faire une histoire complète du cinéma à travers le seul prisme vampirique. Par ailleurs, le vampire étant un personnage flottant entre la vie et la mort, la matérialité et la désincarnation, un être dont le reflet n’apparaît pas dans les miroirs, il est à lui seul le réceptacle de certaines questions centrales du cinéma : l’incarnation, la réalité incertaine d’une image, la présence des corps sur un écran entre puissance charnelle et évanescence fantomatique. Enfin, le cinéma ne nourrit-il pas avec ses adeptes des rapports de prédation et de contamination ? Et les plus fervents habitués des salles obscures ne sont-ils pas eux aussi des enfants de la nuit, des créatures nocturnes au teint pâle et aux yeux cernés ?
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La relation consanguine entre le cinéma et les vampires est balisée dès ses débuts par deux chefs-d’ uvre : le Nosferatu de Murnau (1921) et le Vampyr de Dreyer (1932). Avec sa maigreur, ses doigts crochus, ses oreilles pointues, ses yeux révulsés, ses grandes dents, sa longue cape et son château isolé, le personnage créé par Murnau (et inspiré du Dracula de Bram Stoker) instaure les principales lois du genre au cinéma. Film séminal, Nosferatu est également marqué par le romantisme allemand et le contexte socio-politique de la république de Weimar. Le personnage Nosferatu incarne les peurs d’une société allemande marquée par l’issue humiliante de la guerre de 14-18 et par une crise économique et politique sans précédent. Mais on peut en faire une lecture plus romantique en y voyant un être solitaire, aristocratique, asocial, à juste titre retiré d’un monde des humains devenu invivable. Tout aussi inquiétant et fascinant que Nosferatu, le Vampyr de Dreyer est quant à lui plutôt psychanalytique, voire « théologique », que romantique, au sens où le cinéaste danois y questionne l’idée d’incarnation cinématographique.
Le mythe du vampire sera décliné pendant quelques décennies par l’industrie hollywoodienne le Dracula de Tod Browning, les films de Bela Lugosi qui ont marqué les jeunes Cramps ou le petit Tim Burton. Mais parfois loin de la splendeur inquiète de Murnau et Dreyer, le genre vampiresque a petit à petit perdu en beauté et en pouvoir de terreur ce qu’il a « gagné » en folklore des Carpates, pour verser dans les eaux plates de la parodie. Eternelle histoire cyclique des genres au cinéma qui finissent toujours par se dégrader et s’auto-affaisser sur eux-mêmes. Mais à chaque fois que le vampire a paru se vider de son sang, il a repris des couleurs. Au sens propre avec Le Cauchemar de Dracula (1958), premier Dracula filmé en couleurs, détail non négligeable pour cet univers pur sang. La société britannique Hammer, le cinéaste Terence Fisher et l’acteur Christopher Lee seront les hérauts de la revitalisation du genre (lire l’encadré ci-dessous). Quand la Hammer versera à son tour dans le baroquisme outrancier et les clowneries gore, le genre aura déjà été repris et relancé par le cinéma populaire italien avec le néo-classique Les Vampires de Riccardo Freda ou le néo-baroque Le Masque du démon de Mario Bava (1960).
Au tournant des années 70, alors que le système des studios et les cycles affiliés à un genre battent de l’aile, les films de vampires seront plutôt le fait de tentatives isolées que le résultat de la production d’une écurie. On se souvient du Bal des vampires (1967) avec Sharon Tate dans lequel Roman Polanski réussissait l’alliage rare de l’humour et de la peur, de la parodie et de l’hommage au genre. Quelques mois plus tard, l’actrice (et compagne du cinéaste) se faisait égorger par la secte Manson dans une villa d’Hollywood, la réalité sanglante suçant là atrocement le cou de la mythologie. « Quand on parle de choses horribles, elles finissent par arriver« , disait Michel Simon dans Drôle de drame… On garde aussi en mémoire le Nosferatu de Werner Herzog (1978) qui pousse la dimension romantique du mythe en faisant de Klaus Kinski l’amoureux éperdu d’Isabelle Adjani, ou encore la tentative clipo-publicitaire de Tony Scott (Les Prédateurs, 1983) dans laquelle le style chic, lisse et creux de l’Anglais était contrebalancé par la présence de Catherine Deneuve dans un rôle inattendu et par une efficace séquence d’intro avec le groupe Bauhaus en guest-star.
Sur les vingt ou trente dernières années, les films vampires les plus intéressants sont de loin ceux qui se débarrassent de la panoplie du genre (dents longues, peaux d’albâtre, cheveux noirs, morsures au cou…) pour ne garder que ses motifs profonds (la maladie, la contamination, les rapports de prédation entre les êtres, la solitude aristocratique et mélancolique… autant de thèmes adaptables à toutes époques, autant de figures déclinables dans toutes les situations). Exemple parfait de cinéaste vampirique moderne, David Cronenberg. Dans ses premiers films fauchés, Frissons (1974) ou Rage (1976), il rejette tous les oripeaux folkloriques pour situer ses histoires aujourd’hui, dans la vie urbaine de tous les jours et en particulier dans les milieux médicaux. Le mythe du vampire est retravaillé par le biais de la transmission sexuelle, de la contamination virale et de l’erreur médicale. Entre le sida, la vache folle, le virus ebola ou celui du SRAS, Cronenberg a fait uvre prophétique, voire politique, le tout avec des séries B destinées aux circuits marginaux ! Avec The Addiction (1995), Abel Ferrara a réussi un étrange mix entre certains codes du genre (les morsures au cou, le retour au noir et blanc), une parabole sur la drogue et un document sur la survie à New York. Dans ce beau film malade, il a même tenté le grand huit philosophique en associant nazisme et vampirisme, une autre manière de relier l’Allemagne et l’imaginaire gothique (notons que les nazis caricaturaient souvent les Juifs sous les traits de vampires pompant le sang aryen ou contaminant les « races pures »).
Parmi les films de vampires contemporains mémorables, Trouble Every Day de Claire Denis (2001) dont nous ne sommes toujours pas guéri. En plongeant son histoire dans la banalité contemporaine (bug médical, contamination par le sexe, « vampires » d’apparences ordinaires), Denis retrouve l’essence du genre, sa puissance à la fois inquiétante (Dalle et Gallo foutent vraiment les jetons, le filmage érotique et sur le qui-vive aussi) et hautement romantique (c’est un film d’amour impossible et de solitude), sa dimension de conte à faire peur.
Autre forme de rapport au genre, les films qui semblent n’entretenir aucun lien avec les vampires, si ce ne sont les thèmes de la prédation, de la soumission et de la contagion dans les relations psychologiques entre les êtres. Ainsi The Servant de Losey (1972) dans lequel le rapport maître-esclave s’inverse, ou Les Ensorcelés de Minelli (1952) dans lequel tout le monde se fait pomper son énergie par le producteur-prédateur incarné par Kirk Douglas (à moins que le vampire ne soit plus simplement Hollywood, mirage aspirant toutes les vanités). Récemment, en 2002, le film de vampires le plus beau est peut-être le Demonlover d’Olivier Assayas (absent de la rétrospective qui montrera en revanche le tout aussi réussi Irma Vep, de 1996), ballet glacial de personnages livides qui s’entredévorent dans l’atmosphère feutrée et luxueuse du capitalisme international, ronde mortifère d’humains contaminés par les images et vampirisés par leur affaires. Une rétrospective qui prouve donc que la consanguinité entre vampires et cinéma n’en finit pas de proliférer, à mesure que les écrans et les régimes d’images se multiplient comme des métastases.
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