Nouvel autoportrait ironique et sensuel du plus introspectif des cinéastes coréens.
Le dernier film de Hong Sangsoo prend place sous un soleil de plomb, assommant comme une gueule de bois, et plonge Ku, le personnage principal, dans une lumière crue peu flatteuse.
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L’ingratitude est là dès le départ, pas seulement liée au climat mais aussi au choix pas nouveau (lire encadré) du cinéaste coréen de s’intéresser à son double : un réalisateur estimé des cinéphiles mais peu vu et compris du grand public. De quoi redouter une mise en abyme nombriliste, porteuse des pires poncifs sur la création.
Mais c’est oublier que l’un des moteurs de Hong Sangsoo, c’est une matière certes intime, mais aussi retorse, qu’il regarde sans complaisance, et ici avec un humour féroce. Ainsi, Les Femmes de mes amis aurait pu tout autant s’intituler Conte de cinéma, comme l’un de ses précédents films, que porter le titre facétieux de son prochain long métrage sélectionné à Cannes, Hahaha.
Nous sommes à la moitié du film, et déjà passés par de drôles d’états (un festival de cinéma cauchemardesque), quand Ku arrive sur l’île de Jeju pour faire une conférence auprès d’étudiants en cinéma.
A son ami professeur qui lui demande d’où vient l’égratignure qu’il a sur le visage, l’invité répond fièrement qu’il s’est bagarré avec des types qui lui reprochaient de regarder les jambes de leur copine. Puis il s’empresse de préciser que ses agresseurs se trompaient sur son compte.
L’anecdote en dit long sur le réalisateur qui, tout en mentant (nous connaissons les véritables raisons de sa blessure, bien plus tordues), reste dans le vrai par rapport à ce qu’il incarne au sein du film : un artiste content de faire son intéressant et finalement pris au piège, au sein de ses propres fantasmes, du fantasme des autres qui le perçoivent souvent comme un épouvantable séducteur.
Les zooms sont là, étonnamment supportables, pour brouiller les pistes tout en recadrant à froid un orgueil souvent mal placé. Car son égocentrisme et son hypocrisie prêtent aussi le flanc à la critique – l’organisatrice du festival dont il est membre du jury lui reproche de faire des promesses en l’air – et il est étonnant de voir à quel point, dans la chaleur ambiante imbibée d’alcool, les faiblesses de ce vrai faux Ku lui échappent et semblent être absorbées par tout ce qui l’entoure au point de rendre difficilement discernable le rêve de la réalité, truffée de mirages.
En témoigne cette nuit (très buñuelienne) que le cinéaste passe chez un ancien ami qui lui présente sa femme. Que se passe-t-il pour que le lendemain ce même ami menace de le tuer ? Tout laisse alors à penser qu’un bête fantasme de Ku a bel et bien interféré avec la réalité. Comme si le monde autour de lui s’empressait d’amplifier ses failles en leur donnant des conséquences pathétiques et démesurées.
Cette vérité honteuse, forcément sexuelle, dont le cas Ku serait directement ou indirectement coupable (un viol, un adultère), se dérobe la plupart du temps de manière moqueuse : même les buissons et arbres alentour semblent se marrer. Les seuls indices restent des gémissements (ou vomissements !) de femmes entendus à travers des cloisons dont le réalisateur ne sera qu’une seule fois réellement responsable, lorsqu’il couche à la fin du film avec son amour de jeunesse, devenue la femme d’un ancien prof. Comme si les reproches qui lui étaient faits, à force d’être grossis, finissaient par trouver une justification.
Au meilleur de sa forme, Hong Sangsoo excelle dans l’art de stopper un moment (des signatures d’autographes abrégées, une nuit d’ivresse) – tel un coitus interruptus – pour mieux le réinjecter, détourné, dans le cours et le décor du film et creuser ainsi une profonde lacune.
Le “si tu savais tout” qui ouvre le film semble alors se prolonger et se conclure par un ironique “tu ne saurais rien”, tel un serpent qui se mord la queue, car le doute règne en maître sur ce conte métaphysique et trivial d’une lucidité moite et hallucinée effroyablement hilarante.
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