L’adaptation brillante des mémoires d’une falsificatrice de correspondance littéraire. Melissa McCarthy, entre désespoir et classe burlesque, impressionne.
Petite sensation automnale 2018, reparti bredouille des Oscars (où ses coscénaristes et comédiens principaux furent opportunément nommés) mais récompensé partout ailleurs, Les Faussaires de Manhattan (Can You Ever Forgive Me ? en anglais) sort enfin en France, avec les honneurs, de plus en plus rares pour ce genre de production indépendante, du grand écran.
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Adaptation des mémoires d’une anarqueuse
Le titre a beau évoquer des faussaires au pluriel, c’est surtout une arnaqueuse que nous suivons ici (le second se contentant de la soutenir dans ses forfaits) : Lee Israel, interprétée génialement par Melissa McCarthy, qui fut d’abord, dans les années 1970 et 1980, une biographe renommée et portraitiste pour la presse, avant de se lancer à corps perdu, en 1991, dans la falsification et le recel de lettres d’écrivains.
Sans le sou et sans projet, incapable de payer son loyer et le vétérinaire de son chat malade (une motivation comme une autre), snobée par le milieu de l’édition qui n’avait cure de ses ouvrages jugés trop pointus, elle n’avait d’autre choix que d’emprunter la voie du faux – où elle se révéla brillante.
Et c’est l’adaptation de ses mémoires publiés en 2008 (six ans avant sa mort) que filme Marielle Heller (réalisatrice d’un premier long remarqué en 2015, The Diary of a Teenage Girl).
Tristesse et solitude retranscrites avec élégance
A l’inverse d’Arrête-moi si tu peux, où Spielberg se laissait griser par la labilité et la vélocité de son imposteur (un Leonardo DiCaprio plus juvénile que jamais), Les Faussaires de Manhattan marche au pas renfrogné du sien, sans en être pour autant accablé ; c’est son joli paradoxe.
Rares sont les films américains récents qui ont su retranscrire la tristesse et la solitude avec une telle élégance – l’élégance de ceux qui n’ont précisément plus qu’elle pour tenir debout.
Marielle Heller excelle dans la reconstitution du New York récessif et déprimé de 1991, lorsque l’euphorie (artificielle) des eighties avait laissé place à la gueule de bois et que le sida fauchait sans aucune retenue.
Une scène particulièrement émouvante en témoigne, où Lee Israel fait promettre à son ami Jack (Richard E. Grant, parfait interprète d’un dandy gay décadent) de ne révéler son secret à personne, et que ce dernier lui rétorque : « A qui pourrais-je le répéter ? Mes amis sont tous morts. »
Classe burlesque
Brillamment écrit par Nicole Holofcener (l’auteure-réalisatrice d’All About Albert, entre autres merveilles) et Jeff Whitty (un dramaturge), Les Faussaires de Manhattan fourmille de telles épiphanies, permettant aux comédiens de démontrer l’étendue de leur talent.
Et Melissa McCarthy impressionne particulièrement. Le fameux “virage dramatique” des acteurs comiques est souvent synonyme de sortie de route, mais celui-ci est à montrer en exemple dans tous les comedy clubs.
C’est que, sans quérir la blague à chaque phrase, l’actrice fétiche de Paul Feig (Mes meilleures amies, Les Flingueuses, Spy) ne lâche rien de sa classe burlesque, cette capacité à rendre événementiel chacun de ses mouvements, qu’elle retourne ici simplement, comme on le ferait d’un gant de cuir, pour en laisser paraître la fleur, plus rugueuse mais belle à pleurer.
Les Faussaires de Manhattan de Marielle Heller, avec Melissa McCarthy, Richard E. Grant, Dolly Wells (E.-U., 2018, 1h47)
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