Adaptation contemporaine d’une nouvelle fantastique de Henry James, cette histoire de revenants et de jalousie est servie par une distribution parfaite, Sara Giraudeau en tête.
Les Envoûtés appartient à une veine très singulière, peut-être la plus intime, de la filmographie de Pascal Bonitzer : le fantastique, très présent, à des degrés divers, dans tous ses films. Bonitzer a débuté dans le cinéma comme scénariste.
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Il a notamment travaillé avec deux grands cinéastes qui aimaient eux aussi le fantastique : Jacques Rivette (notamment Histoire de Marie et Julien) et Raoul Ruiz (Généalogie d’un crime, Trois Vies et une seule mort). Et c’est à eux qu’on pense en regardant Les Envoûtés, adaptation contemporaine d’une nouvelle d’Henry James – qui porte deux titres parce que James en donna deux versions, preuve que le sujet l’obsédait : The Way It Came et The Friends of the Friends. Une nouvelle qui fascina aussi bien Virginia Woolf que Jorge Luis Borges.
Ménage à trois
Dès les premières minutes du film, il est question de fantômes. La rédactrice en chef de la revue Psychologies (Josiane Balasko) commande à une pigiste, Coline (Sara Giraudeau), d’écrire un long papier sur le fils d’une amie, Simon (Nicolas Duvauchelle), à qui sa mère est apparue après sa mort. Coline éclate de rire.
Mais voilà qu’un soir, son amie, Azar (Anabel Lopez), affolée, débarque chez Coline : alors qu’elle était dans la laverie où elles se retrouvent souvent, son père lui est apparu. Elle téléphone en Espagne et découvre que son père vient de mourir. Ellipse : Coline débarque dans les montagnes du Pays basque, où vit Simon, peintre torturé et un brin manipulateur. Une liaison naît entre eux.
Coline aimerait présenter Azar à Simon. Les rapports se brouillent, comme si Coline, au fond, rêvait d’une liaison entre ses deux amis que leurs visions rassemblent, tout en ne la supportant pas, par jalousie.
Des lapsus linguae lacaniens
Il est souvent question de langue, dans Les Envoûtés, comme si cet organe qui sert à la fois à parler, à lécher et sucer était la figure centrale du film – notamment dans des lapsus linguae lacaniens qui n’échappent pas aux autres personnages.
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Le choix de Sara Giraudeau est absolument parfait, tant son physique tranche avec notre époque. Elle apporte de l’étrangeté inquiétante, de la fragilité, mais aussi une grande émotion, dans la dernière partie du film, à un personnage qui pourrait paraître par moments antipathique et dont les motivations ne sont pas nettes (et c’est tant mieux). Duvauchelle est, lui, si présent qu’il fait presque oublier que c’est lui qui joue le rôle. Manière de dire qu’il joue son rôle exactement comme il est écrit : un peu absent.
Borgès écrivait de la nouvelle de James : “Les Amis des amis renferme une profonde mélancolie et c’est en même temps une exaltation de l’amour élaboré dans le plus secret des mystères.” C’est bien ce qu’offre le film de Bonitzer : un mystère dont on ressent le secret sans trouver les mots pour le dire. On l’a sur le bout de la langue.
Jean-Baptiste Morain
Les Envoûtés de Pascal Bonitzer, avec Sara Giraudeau, Nicolas Duvauchelle, Nicolas Maury (Fr., 2018, 1h41)
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