Un retour remarquable et futuriste dans lequel le cinéaste fouille ses obsessions autour du corps et des manières de le triturer.
La première réflexion qui vient à l’esprit, après avoir été estomaqué·e par certaines scènes du premier film de Cronenberg depuis huit ans – notamment son incipit, qui témoigne de la forme inentamée du cinéaste canadien de 79 ans –, c’est qu’on a déjà vu ce film. Chez Cronenberg, bien sûr.
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Les Crimes du futur – aucun rapport avec le film homonyme qu’il avait réalisé en 1969 – est de ceux (comme Rage, 1976, Vidéodrome, 1983, Faux-Semblants, 1988, eXistenZ, 1999, etc.) où il n’est question que du corps et de ses métamorphoses. Mais aussi de groupes, de sectes qui prônent, par la violence, une utopie des corps. Où les personnages sont à la fois malades, accros à leur pathologie et militants de sa diffusion au reste de l’humanité.
Rien d’étonnant : Cronenberg refait le même film, comme beaucoup de grand·es artistes peignent, composent des œuvres-variations sur leurs obsessions : toujours pareilles, mais toujours différentes. Les Crimes du futur est du pur Cronenberg, à l’ancienne, avec des corps qui se transforment et acquièrent de nouveaux organes, des excroissances qui deviennent des œuvres d’art, le scalpel qui devient un sextoy, etc.
Des excroissances qui deviennent des œuvres d’art
Mais l’essentiel, ce sont les nouvelles images, les scènes qu’imagine et filme Cronenberg. Comme celle des performances de son personnage principal, Saul Tenser, un artiste reconnu, joué par Viggo Mortensen, qui erre dans les rues la nuit, incognito, vêtu d’une sorte de burnous qui le fait ressembler à un chevalier Jedi.
Pendant ces performances spectaculaires, son assistante, Caprice (Léa Seydoux), médecin de formation, lui ouvre le corps, devant un public admiratif, à l’aide d’une sorte de télécommande qui rappelle le pod d’eXistenZ. Elle en extrait des organes inconnus, des tumeurs sculptées et tatouées. Des chimères que la jeune femme sectionne ensuite, avant de refermer l’abdomen de l’artiste, qui en poursuivra la création, s’épuisant toujours un peu plus.
La caractéristique de ce monde futuriste, c’est que l’humain ne ressent plus la douleur
Comme Cronenberg, Tenser retourne à chaque fois sur ses obsessions. Avec, comme climax (qui signifie aussi “orgasme” en anglais), cette scène incroyable, d’une rare beauté où, nu·es dans les bras l’un·e de l’autre, le créateur de lui-même et son assistante “font l’amour”, c’est-à-dire jouissent des lacérations que des machines munies de lames accomplissent sur leur corps.
Car la caractéristique de ce monde futuriste mais proche, c’est que l’humain ne ressent plus la douleur. Alors, la chirurgie a remplacé le sexe… Depuis toujours, Cronenberg affirme filmer du côté de la maladie. Il le confirme une fois de plus, bousculant les convenances, nous projetant dans un monde à la fois étrange et familier, celui de l’intériorité de notre corps, cette chose mystérieuse qui nous dégoûte un peu et qui est pourtant nous.
Les Crimes du futur de David Cronenberg, avec Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart (Gr., Can., 2022, 1 h 47). En salle le 25 mai.
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