Un dynamitage en règle de toutes les bienséances, sociales et cinématographiques. La comédie que le cinéma français attendait ?
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Dans la reconquête de la comédie française par ses forces vives, observée depuis deux ou trois ans (notamment dans les sections parallèles du Festival de Cannes), Les Combattants fait figure de tête de pont. Non pas l’éclaireur qui part seul en pointe, mais plutôt celui qui consolide une brèche, dans laquelle tous les autres vont, espérons-le, pouvoir s’engouffrer.
Cette ouverture, on la doit à Thomas Cailley, diplômé récent de la Fémis (2011, section scénario, la plus prolifique en cinéastes), remarqué il y a quelques années avec un beau court métrage buissonnier, Paris Shanghai. L’aventure, avec un grand A, y apparaissait déjà comme le contrepoint d’un réel un peu terne, garant d’une vérité (des hommes, des paysages, des sentiments) prétendument étouffée par le monde moderne – une quête dont Cailley soulignait au passage, avec humour, le caractère illusoire.
Les Combattants poursuit cette réflexion, en l’amenant sur le terrain du sentiment amoureux, puis sur celui de la survie en environnement hostile (ce qui est au fond la même chose).
Ça commence par une rencontre. Madeleine et Arnaud ont la vingtaine, la beauté, le muscle saillant et le regard un peu flottant des gens de leur âge. Ils vivent en Aquitaine, région à la fois sauvage et très réglée, à l’instar, on ne tardera pas à s’en rendre compte, de la mise en scène de Thomas Cailley.
A la mort de son père, Arnaud doit reprendre avec son frère aîné l’entreprise familiale de menuiserie, tâche à laquelle il ne s’emploie qu’à contre-cœur. Ce d’autant plus que son cœur, justement, s’est mis à battre pour Madeleine, tomboy un peu hirsute, obsédée par l’apocalypse, la survie, l’armée. “Parce que tout va péter” (elle le sait, c’est dans l’air), Madeleine s’entraîne dur, leste son sac à dos de briques avant de plonger dans la piscine, gobe des bestioles passées au mixeur ou au micro-ondes, et rêve d’intégrer les meilleurs commandos.
C’est dans ce décor, où la langueur estivale et l’ennui attisent les désirs, que se noue la première partie d’un film moins programmatique qu’il n’y paraît. Cailley, brillant scénariste et metteur en scène précis, y déploie un art du récit, du dialogue comique et de la situation burlesque remarquable, surtout pour un premier film. On y sent à chaque instant bouillonner une sève, affleurer une tension qui ne demande qu’à exploser, mais qu’il s’agit de contenir, pour quelque temps encore. Comme le conseille, dans une scène très drôle, un militaire à Arnaud, il faut viser non pas la cible mais vingt centimètres derrière, concentrer sa force, se projeter.
C’est ainsi que les enjeux de ce premier acte, très drôle mais encore un peu sur la réserve, se déversent dans une seconde partie magnifique, où Thomas Cailley libère toutes les forces telluriques, jusqu’à un étonnant (et terrifiant) climax. Lâchés dans la nature – mais une nature, nous le disions, civilisée, ce qui crée tout un tas de décalages comiques –, les deux survivalistes cessent de se toiser et mettent enfin en pratique leur engagement jusqu’ici théorique.
Pour les interpréter, Kévin Azaïs, inconnu au bataillon, est parfait en gaillard gauche à la virilité contrariée, tandis qu’Adèle Haenel, dans un registre hawksien (dominante, rusée, sensuelle), s’affirme tranquillement comme
l’une des actrices françaises qui comptent le plus aujourd’hui.
L’inversion des genres sexuels opérée ici se double d’un jeu sur les genres cinématographiques, que Cailley manie avec insolence. Dans un pays où l’assignation est la règle (une place pour chaque chose et chaque chose à sa place), faire se succéder librement comédie romantique, chronique provinciale, film d’aventure et film d’apocalypse, envoyer valdinguer les identités prédéfinies, et offrir à ses personnages la possibilité de choisir leur place, a quelque chose de profondément réjouissant. Débordant de désirs, Les Combattants s’affirme comme un phénoménal cri de rage, qui, à n’en pas douter, va porter loin et longtemps.
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