Inspirée par l’affaire de l’Arche de Zoé, la débâcle d’une ONG qui croyait bien faire, observée dans toute son ambiguïté idéologique et morale.
Des avions qui manœuvrent dans l’écran large du désert et du ciel, le souffle du vent et des moteurs… Dès les premières minutes, il flotte dans le nouveau film de Joachim Lafosse (Nue propriété, A perdre la raison…) un parfum de cinéma américain, de film d’aventure, un alliage production-mise en scène qui en impose, cherche à excéder les limites intimistes du cinéma d’auteur européen.
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Inspiré par les pratiques de l’ONG l’Arche de Zoé, Les Chevaliers blancs reprend un vieux sous-genre du cinéma, celui des pérégrinations des Blancs en Afrique. Mais à la naïveté coloniale d’anciens classiques tels Morocco, Hatari !, Mogambo ou African Queen succède ici un regard impavide sur les ambiguïtés postcoloniales d’aujourd’hui.
Le film s’attache aux tribulations d’un certain Jacques Arnaud et de son ONG, dont le travail consiste à arracher des orphelins africains à la misère et à les convoyer vers l’Europe où ils seront supposés trouver familles d’accueil, confort, éducation et avenir. Il s’agit donc de faire le bien. Mais, chacun le sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions : rien ne se passe selon ce programme nickel sur le papier.
Trois cents enfants pour rentabiliser
Pour attirer les orphelins ou convaincre des familles d’y placer leur progéniture, Arnaud met en place un orphelinat en cachant aux intéressés que son institution est un leurre, en réalité un simple lieu de transit avant l’embarquement vers l’Europe. Arnaud laisse s’installer cette ambiguïté entre sauvetage et enlèvement, entre promesse et contrainte de vie meilleure, entre véritables orphelins et gosses que des parents trop pauvres préfèrent confier à une institution locale en espérant continuer à les voir.
La situation se complique encore plus lorsque Arnaud doit atteindre un contingent de trois cents enfants pour rentabiliser ses coûts logistiques et profiter d’un des rares vols (d’avion) de la région. L’ONG passe progressivement de son objectif humanitaire à un sordide business dont les enfants constituent la marchandise. Lafosse filme les étapes insidieuses de ce processus en ménageant toujours l’ambiguïté morale: discussions virulentes entre les membres de l’ONG à chaque franchissement éthique, conflit entre la fin et les moyens (on peut se permettre quelques entorses aux règles et procédures s’il s’agit de sauver des gosses).
Reliquat de colonialisme
Comme toujours excellent, Vincent Lindon compose un Arnaud combatif, animé d’objectifs nobles mais pris dans un engrenage où entrent en compte son narcissisme, son manque d’organisation et de professionnalisme et ses propres oscillations entre la mission humanitaire et la survie de son ONG. Arnaud veut donner un avenir digne à des petits enfants africains mais parle de façon parfois indigne à leurs parents. Il est empêtré dans un paternalisme qui est une autre forme de mépris, un reliquat de colonialisme.
A ce titre, Arnaud est emblématique d’une question plus vaste, celle des rapports Nord-Sud quelque cinquante ans après la fin formelle de l’époque coloniale. Mais si les Etats africains ont acquis leur indépendance, la domination de l’Occident se perpétue sous des formes plus indirectes, économiques, culturelles…
Pas un salaud intégral
Si la situation géopolitico-humanitaire est au cœur de ce film, en infrabasse pulse aussi une histoire de couple. L’aventure humanitaire est peut-être pour Arnaud une façon de ressouder son couple (comme dans les classiques hollywoodiens), de prouver des choses à sa femme. Lafosse met en scène Louise Bourgoin de façon assez subtile : au début, on la voit à peine et on se demande pourquoi une actrice de sa renommée joue les utilités (hormis pour l’allure du casting). Et puis, elle prend petit à petit sa place dans le film, se rapproche du centre de l’écran et du récit jusqu’à matcher à égalité avec Lindon. Cette avancée progressive du personnage féminin est assez belle.
Le regard de Lafosse ne laisse pas de doute sur la duplicité et les infractions commises par son personnage mais n’en fait pas non plus un salaud intégral, laissant au spectateur une marge de liberté dans son jugement moral. Le héros de ce film d’aventure des temps modernes est plutôt un homme dépassé par les événements qu’une machiavélique figure du mal.
Les Chevaliers blancs (Fr., 2015, 1 h 52)
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