La condition actuelle des femmes vue d’un planning familial , grâce à un habile dispositif croisant documentaire et reconstitution avec stars.
Sur le front d’un entrelacs entre fiction et documentaire, l’œuvre de Claire Simon fait sans doute partie des propositions de cinéma les plus intéressantes de ces dernières années. Pratiquant d’abord une ligne dure du film documentaire (et un cinéma direct avec Les Patients, Récréations ou Coûte que coûte), elle a glissé progressivement vers la fiction, et réalise en 1997 un premier long, Sinon, oui, présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Elle est devenue, depuis, une habituée de la Sélection, de retour en mai dernier avec Les Bureaux de Dieu, deux ans après le passage de Ça brûle, une splendide chronique sur l’adolescence et ses premiers émois amoureux. L’intrigue se situait dans la plénitude estivale d’un village du Var – une jeune fille s’entichait d’un pompier qui aurait pu être son père, le film s’achevait sur un immense feu de joie, d’une ampleur quasi mythologique. Dans Les Bureaux de Dieu, l’apprivoisement de la fiction semble s’être construit à contre-courant de son prédécesseur : alors que Ça brûle s’appuyait sur un vrai canevas fictionnel en y intégrant un maximum de réel, le nouveau film de Claire Simon soumet cette fois la fiction à un principe de captation. Soit le quotidien d’un planning familial à travers une série d’entretiens entre des femmes confrontées à la question de la maternité, de la sexualité, et une impressionnante brochette de conseillères. Nathalie Baye, Béatrice Dalle, Rachida Brakni, Isabelle Carré et Nicole Garcia, toutes écoutent et conseillent, mais aussi s’émeuvent, s’irritent, se réjouissent. Ces entretiens se lestent d’une valeur supplémentaire quand on sait de quel dispositif ils sont nés. Pour les élaborer, des centaines de consultations réelles ont été enregistrées par la réalisatrice, certaines retranscrites, jusqu’à donner forme à un scénario. Actrices pro (les conseillères) et amatrices (les “patientes”) connaissaient leur texte à la virgule près, ne découvrant en revanche leur interlocutrice qu’au moment de la prise. Le résultat de ce mode de fabrication hybride, à cheval entre l’artifice et le naturel, est un effet de réel poignant. Il ouvre sur un hors-champ féminin rarement dévoilé, dont le film ne cherche jamais à lever l’ambiguïté. Au-delà des questions ponctuelles autour de la pilule, de la contraception ou de l’avortement, les voix qu’on nous donne à entendre dessinent un espace complexe, fait de contradictions, où chacune cherche confusément à tracer les contours de son identité, et creuser, peut-être, les voies d’une liberté nouvelle. Dans Les Bureaux de Dieu, il n’y a pas un seul dieu, mais plusieurs, et c’est à chacune de trouver le sien.
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